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mercredi 4 juillet 2012

Juin 1832-Juin 2012 : 180 ans de l'Insurrection républicaine des "Misérables". 4°) Nuit du 5 au 6 Juin 1832, les barricades.

Au soir du 5 Juin, la situation des insurgés paraît déjà désespéré. Enserrée entre le Quartier Saint-Merry et le Quartier des Halles, cernée par la Troupe et une majorité des bataillons de la Garde nationale, la Révolution de 1832 semble déjà un désastre. Monarchistes légalistes et Républicains se trouvent alors dans la même panade et unissent leurs forces pour consolider leurs positions. Les armureries du quartier sont pillées, mais l'équipement reste maigre. Des fusils à un coup à tabatière datant des années 1820, quelques pistolets guère plus récents, des fusils de chasse à deux coups, quelques sabres, et surtout beaucoup de couteaux et autres ustensiles tranchants détournés de leur usage premier.


Dans le crépuscule, des barricades sont élevées. L'art de bâtir une barricade est décidément la spécialité des Parisiens au XIXème siècle, et ces ouvrages défensifs ne cesseront de s'améliorer au fil du siècle pour trouver leur apothéose avec les gigantesques redoutes de la Commune de Paris en 1871. En 1832, le temps manque pour ériger de grands obstacles, mais cela suffit à bloquer les rues étroites de Paris. Les pavés sont arrachés et érigés de façon à bâtir un mur vertical côté attaquant, empilage irrégulier escaladable côté défenseur. Entre les pavés sont glissés des sacs de sable et des matelas pour amortir les coups de canons que l'attaquant viendrait à tirer. Au sommet du mur, un empilage de planches, de charrettes et d'objets en tout genre sert à protéger les défenseurs en position de tir et à gêner l'escalade de l'assaillant. Bien érigée (et pour peu que les défenseurs aient des réserves suffisantes en munitions), une barricade peut tenir en échec un grand nombre d'attaquant en étant défendue par relativement peu d'hommes. En 1848, la Barricade du Boulevard Saint-Antoine, monstruosité montant jusqu'aux étages des maisons, défendue sur ses arrières par d'autres barricades plus petites et par 82 hommes seulement, tint en échec 4.000 hommes pendant trois jours. Les images suivantes datent de la Révolution française de 1848 mais illustrent bien à quoi pouvaient ressembler des barricades à l'époque. (Celle sans annotation était située Rue Saint-Maur).


L'insurrection se concentre surtout dans le Quartier Saint-Merri. Le Quartier Général est sis dans le Cloître Saint-Merri (qui existe toujours) et la barricade-mère défend l'angle nord-ouest de l'édifice en bouclant le coin de la Rue Saint-Merri et de la Rue Saint-Martin (qui existent toujours et forment aujourd'hui le sud-ouest de la Place Georges POMPIDOU et son affreux Centre d'Art contemporain qui jure si mal avec les maisons voisines). Des barricades sont érigées aux alentours dans le quartier. Il y a un peu moins de 900 insurgés. Paris les a lâché.

Victor HUGO invente alors un cadre un peu excentré pour son roman. Les Amis de l'ABC érigent une barricade en face d'un de leurs cafés favoris, le Café de Corinthe, Rue de la Chanverrerie (aujourd'hui au numéro 102, Rue Rambuteau) et non Rue Saint-Denis (Victor HUGO cite cette rue car c'était à l'époque un axe important de la capitale, connu de tout le monde) qui est un peu à l'est et par où les soldats arriveront. Enjolras et ses amis tiennent leur quartier général dans le Cabaret Hucheloup, qu'ils transforment en redoute, sis à l'Angle de la Rue de la Verrerie (Rambuteau) et de la Rue Mondétour (au numéro 2) qui sert d’échappatoire car trop étroite pour que la Ligne se risque à attaquer, et surtout trop sinueuse pour qu'elle soit efficacement gardée. La Rue et le Passage Mondétour existent toujours et serpentent dans le Quartier des Halles. Cliquer pour agrandir.


Gavroche, malgré son jeune âge, prend une part active dans cette révolution qui s'annonce. Il reconnaît alors l'inspecteur Javert, mêlé aux insurgés, à qui il a déjà eu affaire et en averti Enjolras. Se sachant reconnu, Javert ne résiste pas et se retrouve ligoté à un pilier du Cabaret Hucheloup. Enjolras lui annonce qu'il sera fusillé à la minute où la barricade tombera. Gavroche hérite du fusil du policier. Marius est de faction Rue Mondétour. 54 insurgés défendent la barricade.


Vers minuit, un pas cadencé résonne aux environs du Quartier Saint-Merri. Louis-Philippe vient de lancer ses 38ème, 55ème et 66ème Régiments d'Infanterie de Ligne sur l'insurrection. Il s'agit d'abord de tester la résistance des barricades. Dans l'obscurité, un coup de force, ça peut passer. Pas une torche, obscurité totale sous un orage nocturne de début d'été. Les officiers lisent l'Avis d’Éviction demandant aux insurgés de se disperser. Devant le refus manifeste, ils lisent dans la foulée l'Acte d’Émeute, prévenant de l'assaut imminent. Puis, l'infanterie se met en ligne de tir, lâche deux décharges et avance. Les insurgés résistent à ce premier assaut, qui ne vise qu'à éprouver les défenses. Quelques barricades mineures sont enlevées au pas de charge mais les plus grosses tiennent. Le Quartier Saint-Merri ne tombera pas. Cet assaut coût plus cher aux défenseurs qu'aux assaillants. Les insurgés gaspillent de précieuses cartouches, tirées de trop loin, alors que les francs-tireurs de la Ligne abattent beaucoup de défenseurs révélés par leurs tirs. De sorte que dans la nuit du 5 au 6 Juin, bien que les positions restent inchangées, les insurgés ont subi plus de pertes que l'Autorité.


Sur la barricade du Café de Corinthe, le 55ème de Ligne ouvre le feu une première fois. Le drapeau rouge chute en dehors du mur. Qui pour le relever ? Un vieil homme se lève, le marguiller Mabeuf, pacifiste réduit à la misère par le régime. Il replace le drapeau et apostrophe la Ligne : "Vive la République !". La deuxième décharge de la Ligne l'abat. Les insurgés l'allonge pieusement sur une table du Cabaret Hucheloup et font de son manteau un étendard qu'ils arborent sur la barricade, causant la fureur de la Ligne qui prend l'habit pour un drapeau noir. L'assaut est donné, furieux, et manque d'emporter la barricade dont 14 défenseurs sont tués. La riposte arrive tardivement, bien qu'efficacement. Les soldats sont déjà en haut du mur, mais ils hésitent un peu trop. Un corps-)-corps sanglant s'engage. Gavroche, pourtant tenu à l'écart par Enjolras, est mis en joue par un soldat, le couche en joue et tire... en vain. Javert n'avait pas chargé sont fusil. De son côté, Courfeyrac (qui tient l'aile gauche) est en passe de perdre un combat face à un sous-officier. Deux coups de pistolet claquent, abattant les adversaires de Gavroche et de Courfeyrac. Marius PONTMERCY vient d'entrer dans la lutte. Mis en joue à son tour, il est sauvé par Éponine THÉNARDIER (déguisée en ouvrier) qui se jette devant le fusil du soldat et reçoit le coup à la place de Marius. PONTMERCY s'empare d'un baril de poudre dans le cabaret et menace de faire sauter la barricade. La Ligne recule, la barricade est sauvée. Jean PROUVAIRE a été fait prisonnier. Les insurgés l'entendent se faire fusiller Rue Saint-Denis.

Éponine, en mourant dans les bras de Marius, lui dévoile que Cosette lui a écrit et lui donne son adresse. Marius charge alors Gavroche (tentant de fait de l'éloigner de la barricade) de porter une lettre Rue de l'Homme armé (juste au nord du Quartier Saint-Merri...). L'enfant remplit sa mission à moitié. Au numéro 7, il tombe non pas sur Cosette mais sur Jean VALJEAN, récemment au courant de l'aventure de sa fille adoptive. Gavroche remet la lettre au bonhomme et s'en retourne vers la Rue Mondétour, chapardant au passage une charrette pour la barricade, véhicule qu'il sera obligé d'abandonner pour échapper à des Gardes nationaux Rue de la Verrerie. Jean VALJEAN ouvre la lettre de Marius, revêt son uniforme de la Garde nationale (comme tout bourgeois qui se respecte) et se dirige à son tour vers les barricades.

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