Au
soir du 5 Juin, la situation des insurgés paraît déjà désespéré.
Enserrée entre le Quartier Saint-Merry et le Quartier des Halles, cernée
par la Troupe et une majorité des bataillons de la Garde nationale, la
Révolution de 1832 semble déjà un désastre. Monarchistes légalistes et
Républicains se trouvent alors dans la même panade et unissent leurs
forces pour consolider leurs positions. Les armureries du quartier sont
pillées, mais l'équipement reste maigre. Des fusils à un coup à
tabatière datant des années 1820, quelques pistolets guère plus récents,
des fusils de chasse à deux coups, quelques sabres, et surtout beaucoup
de couteaux et autres ustensiles tranchants détournés de leur usage
premier.
Dans
le crépuscule, des barricades sont élevées. L'art de bâtir une
barricade est décidément la spécialité des Parisiens au XIXème siècle,
et ces ouvrages défensifs ne cesseront de s'améliorer au fil du siècle
pour trouver leur apothéose avec les gigantesques redoutes de la Commune
de Paris en 1871. En 1832, le temps manque pour ériger de grands
obstacles, mais cela suffit à bloquer les rues étroites de Paris. Les
pavés sont arrachés et érigés de façon à bâtir un mur vertical côté
attaquant, empilage irrégulier escaladable côté défenseur. Entre les
pavés sont glissés des sacs de sable et des matelas pour amortir les
coups de canons que l'attaquant viendrait à tirer. Au sommet du mur, un
empilage de planches, de charrettes et d'objets en tout genre sert à
protéger les défenseurs en position de tir et à gêner l'escalade de
l'assaillant. Bien érigée (et pour peu que les défenseurs aient des
réserves suffisantes en munitions), une barricade peut tenir en échec un
grand nombre d'attaquant en étant défendue par relativement peu
d'hommes. En 1848, la Barricade du Boulevard Saint-Antoine, monstruosité
montant jusqu'aux étages des maisons, défendue sur ses arrières par
d'autres barricades plus petites et par 82 hommes seulement, tint en
échec 4.000 hommes pendant trois jours. Les images suivantes datent de
la Révolution française de 1848 mais illustrent bien à quoi pouvaient
ressembler des barricades à l'époque. (Celle sans annotation était
située Rue Saint-Maur).
L'insurrection
se concentre surtout dans le Quartier Saint-Merri. Le Quartier Général
est sis dans le Cloître Saint-Merri (qui existe toujours) et la
barricade-mère défend l'angle nord-ouest de l'édifice en bouclant le
coin de la Rue Saint-Merri et de la Rue Saint-Martin (qui existent
toujours et forment aujourd'hui le sud-ouest de la Place Georges
POMPIDOU et son affreux Centre d'Art contemporain qui jure si mal avec
les maisons voisines). Des barricades sont érigées aux alentours dans le
quartier. Il y a un peu moins de 900 insurgés. Paris les a lâché.
Victor HUGO invente alors un cadre un peu excentré pour son roman. Les Amis de l'ABC
érigent une barricade en face d'un de leurs cafés favoris, le Café de
Corinthe, Rue de la Chanverrerie (aujourd'hui au numéro 102, Rue Rambuteau)
et non Rue Saint-Denis (Victor HUGO cite cette rue car c'était à
l'époque un axe important de la capitale, connu de tout le monde) qui
est un peu à l'est et par où les soldats arriveront. Enjolras et ses
amis tiennent leur quartier général dans le Cabaret Hucheloup, qu'ils
transforment en redoute, sis à l'Angle de la Rue de la Verrerie
(Rambuteau) et de la Rue Mondétour (au numéro 2) qui sert d’échappatoire
car trop étroite pour que la Ligne se risque à attaquer, et surtout
trop sinueuse pour qu'elle soit efficacement gardée. La Rue et le
Passage Mondétour existent toujours et serpentent dans le Quartier des
Halles. Cliquer pour agrandir.
Gavroche,
malgré son jeune âge, prend une part active dans cette révolution qui
s'annonce. Il reconnaît alors l'inspecteur Javert, mêlé aux insurgés, à
qui il a déjà eu affaire et en averti Enjolras. Se sachant reconnu,
Javert ne résiste pas et se retrouve ligoté à un pilier du Cabaret
Hucheloup. Enjolras lui annonce qu'il sera fusillé à la minute où la
barricade tombera. Gavroche hérite du fusil du policier. Marius est de
faction Rue Mondétour. 54 insurgés défendent la barricade.
Vers
minuit, un pas cadencé résonne aux environs du Quartier Saint-Merri.
Louis-Philippe vient de lancer ses 38ème, 55ème et 66ème Régiments
d'Infanterie de Ligne sur l'insurrection. Il s'agit d'abord de tester la
résistance des barricades. Dans l'obscurité, un coup de force, ça peut
passer. Pas une torche, obscurité totale sous un orage nocturne de début
d'été. Les officiers lisent l'Avis d’Éviction demandant aux insurgés de
se disperser. Devant le refus manifeste, ils lisent dans la foulée
l'Acte d’Émeute, prévenant de l'assaut imminent. Puis, l'infanterie se
met en ligne de tir, lâche deux décharges et avance. Les insurgés
résistent à ce premier assaut, qui ne vise qu'à éprouver les défenses.
Quelques barricades mineures sont enlevées au pas de charge mais les
plus grosses tiennent. Le Quartier Saint-Merri ne tombera pas. Cet
assaut coût plus cher aux défenseurs qu'aux assaillants. Les insurgés
gaspillent de précieuses cartouches, tirées de trop loin, alors que les
francs-tireurs de la Ligne abattent beaucoup de défenseurs révélés par
leurs tirs. De sorte que dans la nuit du 5 au 6 Juin, bien que les
positions restent inchangées, les insurgés ont subi plus de pertes que
l'Autorité.
Sur
la barricade du Café de Corinthe, le 55ème de Ligne ouvre le feu une
première fois. Le drapeau rouge chute en dehors du mur. Qui pour le
relever ? Un vieil homme se lève, le marguiller Mabeuf, pacifiste réduit à la misère par le régime.
Il replace le drapeau et apostrophe la Ligne : "Vive la République !".
La deuxième décharge de la Ligne l'abat. Les insurgés l'allonge
pieusement sur une table du Cabaret Hucheloup et font de son manteau un
étendard qu'ils arborent sur la barricade, causant la fureur de la Ligne
qui prend l'habit pour un drapeau noir. L'assaut est donné, furieux, et
manque d'emporter la barricade dont 14 défenseurs sont tués. La riposte
arrive tardivement, bien qu'efficacement. Les soldats sont déjà en haut
du mur, mais ils hésitent un peu trop. Un corps-)-corps sanglant
s'engage. Gavroche, pourtant tenu à l'écart par Enjolras, est mis en
joue par un soldat, le couche en joue et tire... en vain. Javert n'avait
pas chargé sont fusil. De son côté, Courfeyrac (qui tient l'aile
gauche) est en passe de perdre un combat face à un sous-officier. Deux
coups de pistolet claquent, abattant les adversaires de Gavroche et de
Courfeyrac. Marius PONTMERCY vient d'entrer dans la lutte. Mis en joue à
son tour, il est sauvé par Éponine THÉNARDIER (déguisée en ouvrier) qui
se jette devant le fusil du soldat et reçoit le coup à la place de
Marius. PONTMERCY s'empare d'un baril de poudre dans le cabaret et
menace de faire sauter la barricade. La Ligne recule, la barricade est
sauvée. Jean PROUVAIRE a été fait prisonnier. Les insurgés l'entendent
se faire fusiller Rue Saint-Denis.
Éponine,
en mourant dans les bras de Marius, lui dévoile que Cosette lui a écrit
et lui donne son adresse. Marius charge alors Gavroche (tentant de fait
de l'éloigner de la barricade) de porter une lettre Rue de l'Homme armé
(juste au nord du Quartier Saint-Merri...). L'enfant remplit sa mission
à moitié. Au numéro 7, il tombe non pas sur Cosette mais sur Jean
VALJEAN, récemment au courant de l'aventure de sa fille adoptive.
Gavroche remet la lettre au bonhomme et s'en retourne vers la Rue
Mondétour, chapardant au passage une charrette pour la barricade,
véhicule qu'il sera obligé d'abandonner pour échapper à des Gardes
nationaux Rue de la Verrerie. Jean VALJEAN ouvre la
lettre de Marius, revêt son uniforme de la Garde nationale (comme tout
bourgeois qui se respecte) et se dirige à son tour vers les barricades.
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