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mardi 12 juin 2012

Juin 1832-Juin 2012 : 180 ans de l'Insurrection républicaine des "Misérables". 2°) Mai-Juin 1832, les frémissements.

Je tiens à m'excuser pour le retard pris sur le blogue et dans cette série. J'ai eu un travail d'importance à rédiger qui m'a occupé toute la semaine passée.

L'année 1831 voit pour la première fois Paris s'agiter sous le règne de Louis-Philippe. Une révolte ouvrière éclate et est réprimée dans le sang. Sur les barricades, de plus en plus de drapeaux rouges et quelques drapeaux noirs.

Le drapeau rouge est originellement une menace, un avertissement envoyé à des insurgés barricadés (ou plus rarement à l'ennemi sur un champ de bataille régulier) qui signifie qu'il n'y plus de reddition possible, fuyez ou mourrez mais aucun quartier ne sera fait lors de l'assaut. Cet avertissement commence à être repris par les insurgés eux-mêmes dans les années 1790, signifiant que la barricade qui l'arbore se battra jusqu'à la mort. Par ailleurs, Louis-Philippe ayant rétabli le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge, celui-ci n'est plus utilisable par les insurgés, pour cause de risque de malentendu sur quel camp est quoi. Le drapeau rouge devient alors le symbole de la révolte, quelle que soit son opinion (exception faite des insurrections royalistes qui utilisent le drapeau blanc fleur-de-lysé). Les ouvriers, les républicains, les libéraux, les bourgeois, se battent tous sous le drapeau rouge en cas de révolte. Le drapeau rouge est donc le grand symbole révolutionnaire du XIXème siècle en Europe, devient peu à peu le symbole de la lutte ouvrière lorsque les républicains se séparent du mouvement ouvrier qu'à partir de 1848 et ne prend sa connotation socialo-communiste que dans les années 1880.


Le drapeau noir est la grande nouveauté de l'année 1831. Toutes les révoltes ouvrières l'arborèrent, symbole de désespoir et de misère, plus rien à perdre. L'anarchie le récupérera au fil du siècle avant qu'il n'en devienne le symbole officiel sur proposition de Louise MICHEL (1830-1905) en 1882 pour se dissocier du Socialisme et du Communisme à tendance parlementaire.

La Monarchie de Juillet est une monarchie parlementaire bicamérale, dont le Parlement est composé d'une Chambre des Pairs (Chambre haute) et d'une Chambre des Députés (Chambre basse). Les Pairs de France sont nommés par le Roi mais ne sont pas forcément nobles, l'hérédité de la charge est également supprimée sous Louis-Philippe. La Chambre des Pairs a pour rôle d'amender et de confirmer (ou d'annuler) les lois de la Chambre basse, ou de supplier le Roi d'intervenir. La Chambre des Députés se doit de rédiger et proposer les lois. Les Députés sont élus au suffrage censitaire par des électeurs masculins de plus de 21 ans et s'acquittant d'une somme certaine (assez élevée pour exclure la petite bourgeoisie et le monde ouvrier et agricole du système de vote).

En 1832, le gouvernement est aux mains des Monarchistes orléanistes (partisans de Louis-Philippe et d'un pouvoir accru de ce-dernier), menés par le banquier Casimir PÉRIER (1777-1832). L'opposition se compose alors pour l'essentiel de Libéraux, d'assez nombreux Monarchistes légitimistes ou Carlistes (partisans de Charles X en exil et farouches opposant à la branche usurpatrice d'Orléans, encore pire que Bonaparte puisqu'elle trahit la famille royale légitime des Bourbons), et d'un petit nombre de Républicains.

La mode en ce début de milieu de XIXème siècle est aux sociétés secrètes. Étudiantes, républicaines, corporatistes, carlistes ou libérales, le plus souvent bourgeoises, elles se targuent d'idéaux et de complots. C'est surtout un bon prétexte pour se donner du frisson et faire ripaille lors de banquets réguliers. La plupart sont inoffensives voire temporaires, mais d'autres sont plus militantes et plus dangereuses.

Les Amis de l'ABC est l'une de ses sociétés secrètes étudiantes, au demeurant peu dangereuse mais déterminée, à forte tendance républicaine. "ABC" pour dire "Abaissé", en parlant du peuple, qu'il faut donc relever. Son chef est Enjolras, beau garçon, fortuné, révolutionnaire dans l'âme, républicain farouche, héritier direct des Montagnards de la Révolution française, du Comité de Salut public (1793-1794), de Louis Antoine de SAINT-JUST (1767-1794) et de Maximilien Marie Isidore de ROBESPIERRE (1758-1794). Le second est Combeferre, philosophe et penseur républicain. Il y a aussi Courfeyrac, fils d'un bourgeois qui se croit noble, haïssant profondément sa classe, meneur d'homme et soutien indéfectible d'Enjolras. Ils sont le cœur de la société. Les autres membres en sont: Jean PROUVAIRE (poète pacifiste mais républicain), Feuilly (ouvrier misérable qui veut changer le monde, a une admiration sans borne pour les insurgés polonais et le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes), Bahorel (bourgeois paysan flâneur, éternel étudiant en droit, égocentrique mais non point égoïste), LESGUEULES ou LESGLE, dit Laigle de Meaux mais surnommé Bossuet par ses comparses (le plus vieux de la troupe, noble désargenté et particulièrement malchanceux, étudiant en droit), Joly (étudiant en médecine... hypocondriaque), et Grantaire (sceptique qui ne croit en rien et doute de tout mais suivrait Enjolras jusqu'en Enfer). Enfin, il y a Marius, Baron Pontmercy. Marius, étudiant en droit, noble d'Empire par succession filiale (son père est décédé) mais dont le titre lui a valu d'être mis à la porte sans le sou par un grand-père bourgeois et surtout monarchiste. Depuis, il habite chez Enjolras. Rêveur, tantôt Bonapartiste (en admiration pour son père colonel et Baron d'Empire), tantôt Républicain, tantôt amoureux tantôt engagé, il partage son temps entre ses études qu'il suit assidument, le Café Musain, et la Rue Plumet (rive gauche de la Seine, non loin à l'ouest de Montparnasse, aujourd'hui en pleine ville mais à l'époque dans les faubourgs campagnards de Paris) où habite l'élu de son cœur: Euphrasie "Cosette", la fille adoptive de Jean VALJEAN qui se cache alors à Paris. (3ème partie: Marius. Livre quatrième: Les Amis de l'ABC. Chapitre I: Un groupe qui a failli devenir historique.)

La société secrète se réunit dans l'arrière-salle du Café Musain. Ce fut à l'époque effectivement un café à l'angle de la Rue des Grès, siège de la Société secrète Les Amis du Peuple, où le drapeau rouge sera hissé sans plus d'agitation lors de l'Insurrection de 1832. C'est aujourd'hui une centre de la Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale (MGEN), au numéro 51 du Boulevard Saint-Michel, à l'angle de la Rue Cujas, rive gauche de la Seine, non loin au nord-est du Jardin du Luxembourg.

Vous constaterez que le Paris de 1830 n'est pas celui d'aujourd'hui. Le baron Georges Eugène HAUSSMANN (1809-1891) n'est pas encore passé par là pour tracer ses grands boulevards, ses grandes lignes droites et ses immeubles sous le Second Empire français (1851-1870). Vous constatez également les solides remparts qui entourent la ville... et son accès immédiat à la campagne environnante, chose qu'on a du mal à imaginer de nos jours avec toutes les villes-banlieues qui se sont développées en Île-de-France depuis les années 1960. Le plan ci-dessous est du géographe Gilles Robert de VAUGONDY (1688-1766) et date de 1760. Les modifications entre 1760 et 1832 sont peu nombreuses, exception faite de quelques ponts que nous retracerons. Cliquez pour agrandir.

Au Printemps 1832, une épidémie de choléra frappe Paris, emportant 18.000 personnes dans la mort (dont le Président du Conseil Casimir PÉRIER). Des mesures draconiennes sont prises pour enrayer l'épidémie, on parle d'empoisonnement, le peuple a peur et gronde.

Le 22 Mai 1832, le banquier (ci-dessous) Jacques LAFFITTE (1767-1844), chef de l'opposition libérale, convie chez lui trente-neuf représentants de l'opposition libérale, légitimiste et républicaine pour rédiger un Compte-Rendu expliquant les intentions de vote des députés et expliquant leur politique. Mais rapidement, le manifeste se transforme en une véritable charge contre le Ministère Périer (toujours en place malgré la mort du Président du Conseil) et sa politique par trop orléaniste et centralisatrice des pouvoirs. Néanmoins, rien de cet opuscule ne remet en cause la Monarchie parlementaire, entendu que "la France de 1830 a pensé, comme celle de 1789, que la monarchie entourée d'institutions populaires n'avait rien d'inconciliable avec les principes de Liberté". Pourtant, le livret attaque violemment Louis-Philippe, juge que sa légitimité ne tient plus et fustige les attaques contre les libertés. Dans la conclusion se trouve la phrase qui va mettre le feu aux poudres : "Pour nous, unis dans le même dévouement à cette grande et noble cause pour laquelle la France combat depuis quarante ans, [...] nous lui avons consacré notre vie, et nous avons foi dans son triomphe.". Rien n'appelle explicitement à la révolte et le mot "République" n'est jamais écrit.

Le Compte-Rendu enfièvre Paris. Toutes les sociétés républicaines se prennent à rêver de révolution et s'y préparent, repèrent les quartiers à barricader, échafaudent des plans de bataille, se tiennent prêts à la révolte. Les légitimistes ne sont pas en reste. En médaillon ci-dessous, Alexandre Louis Honoré LEBRETON-DESCHAPELLES (1780-1847), en liaison directe avec la cour de Charles X en exil, chef de la société secrète La Gauloise et champion d'échecs renommé, entame là sa plus ambitieuse partie d'échecs: armer une insurrection républicaine pour la faire tourner au profit des Légitimistes et précipiter le retour de Charles X au pouvoir, comme la révolution de 1830 avait fini par porter au pouvoir Louis-Philippe. Sur un malentendu, ça peut marcher... Le voilà donc à financer l'armement de plusieurs sociétés secrètes républicaines et de rassembler les Légitimistes pour paver la voie à Charles X sans qu'il faille combattre. Charles X, mis au courant, s'appuie alors sur le très connu et respecté écrivain légitimiste François-René vicomte de Chateaubriand (1768-1848) pour enflammer les journaux et les esprits et préparer la révolte. Par ailleurs, ils ont l'appui des Libéraux en la personne ultra-populaire et indéboulonnable de Gilbert du MOTIER, Marquis de la Fayette (1757-1834), héros de la Guerre d'Indépendance des États-Unis d'Amérique (1775-1783), de la Révolution française (1789-1793) et même de la Révolution de 1830, c'est lui qui a présenté Louis-Philippe au peuple de Paris. À noter qu'il s'agit du second essai des Légitimistes pour reprendre le pouvoir rien que dans l'année 1832. En Avril, un débarquement en Provence doublé d'un soulèvement en Vendée avaient échoués.


Tout cela n'échappe pas à la police qui reste relativement impuissante. Le délit d'opinion n'existe pas, il est impossible d'arrêter arbitrairement ceux qui préparent des troubles (ce qui du reste pourrait bien mettre le feu aux poudres, ce que Louis-Philippe veut éviter à tout prix). La police se borne alors à resserrer la surveillance autour des sociétés secrètes dès la fin du mois de Mai 1832. L'inspecteur Javert est envoyé au Café Musain pour espionner et si possible infiltrer le cercle des Amis de l'ABC.

Les forces de l'ordre sont sur les dents. Tout semble prêt pour l'insurrection. Louis-Philippe prend la décision de renforcer la Garde Nationale de Paris par les Régiments de Ligne tenant caserne hors des murs: le 5ème et le 38ème. Les régiments entrent dans la capitale le 1er Juin 1832, en renfort pour encadrer les obsèques du jeune Évariste GALOIS (1811-1832), mathématicien de génie et père des mathématiques modernes, Républicain convaincu et engagé, tué lors d'un duel d'honneur (amoureux) au pistolet le 31 Mai 1832.



Pour l'anecdote, il s'agissait d'un duel à vingt-cinq pas et un coup, l'une des armes étant chargée à blanc. GALOIS a manqué de chance et son adversaire s'est montré trop zélé, la tradition voulant que dans ce genre de duel on blesse sans tuer (au premier sang). Les Républicains étaient réputés pour leur tendance à se défier en duel à tout bout de champ.


Le cortège funèbre du 2 Juin 1832 est immense, plusieurs milliers de personnes, la ferveur républicaine est palpable, une manifestation éclate mais ne dégénère pas. Le Préfet de Police souffle, ce n'est pas pour cette fois, Paris n'allait pas se soulever pour un étudiant en mathématiques. Mais la tension ne retombe pas. Les Républicains ont testé leur nombre et leurs troupes, ils se sentent prêts. Ne manque plus qu'une étincelle.

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