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samedi 14 janvier 2012

Dimanche 7 Décembre 1941, Pearl Harbor. 3°) Préparatifs japonais.

L'amiral Yamamoto se vit donc confier, dès la fin de l'année 1940, la tâche de préparer un plan d'attaque visant à détruire les forces américaines dans l'Océan Pacifique. Il s'y vit même contraint, car pour avoir étudier aux États-Unis, il désapprouvait l'idée d'une guerre contre cette grande puissance industrielle qui surclasserait à coup sûr le Japon. Il se mit donc à l'ouvrage, mais non sans avoir lancé ces paroles prophétiques au Conseil Impérial : "Bien sûr, je me battrai jusqu'à la mort et avec honneur pour mon pays et pour l'Empereur, aussi longtemps que cela s'avérera nécessaire. Mais si nous déclarons la guerre aux États-Unis d'Amérique, il nous faudra les battre et les forcer à la paix en six mois, faute de quoi et quelles que soient les forces que nous engagerons, nous serons vaincus."

Yamamoto était partisan des nouvelles armes que la guerre moderne apportait à l'art du combat naval. La dernière en date : le porte-avion. L'Empire du Japon était alors la première puissance aéronavale au monde en nombre de porte-avions, juste devant le Royaume-Uni de Grande-Bretagne qui utilisait déjà avec un succès certain des flottes combinées de porte-avions et de navires de surface en Mer Méditerranée. Mais au sein de l'état-major impérial, nombre d'amiraux défendaient encore les visions traditionnelles du combat naval, qui se basaient alors sur des échanges de tirs directs entre lignes d'unités de surface cuirassées. L'Empire du Japon venait d'ailleurs de mettre à la mer le plus gros et le plus puissant croiseur de bataille cuirassé ayant jamais été construit : le Yamato.

Contre vents et marées, Yamamoto prépara un plan audacieux, basé sur des attaques surprises et des avancées rapides sur tous les fronts de l'Océan Pacifique, ce que seule la portée des forces aéronavales pouvait permettre. Ce plan prévoyait de frapper quasiment simultanément toutes les possessions américaines de l'Océan Pacifique : les Îles Philippines, la Nouvelle Guinée, le nord de l'Australie, les Îles Salomon, et tous les atolls américains éparpillés dans l'immensité de l'océan (Wake et Midway, entre autres). Mais pour vaincre les Américains, il fallait certes s'emparer de leurs bases, mais il était aussi nécessaire de détruire leur flotte dès le début des opérations. Or, la Flotte Américaine de l'Océan Pacifique est stationnée à Pearl Harbor, aux Îles Hawaï, de l'autre côté de l'Océan Pacifique, à l'extrême limite logistique d'une force navale lancée du Japon. Ce plan déjà audacieux devait donc être étayé de tactiques d'attaques encore plus audacieuses.

Alors même que le plan était encore en discussion au Conseil Impérial, rencontrant la résistance des traditionalistes, Yamamoto fit venir à son cabinet en Février 1941 le Commandant Minoru Genda (1904-1989), fin tacticien rompu aux techniques de la guerre moderne et très au courant des dernières avancées, et lui confia l'établissement d'un plan d'attaque sur Pearl Harbor.

Minoru Genda

Les Îles Hawaï sont situées à 6.200km. du Japon, ce qui représente l'extrême limite des réserves en carburant des navires dont disposent les Japonais. Une attaque d'invasion et un débarquement sont donc exclus. Reste la frappe aéronavale. Mais elle pose deux problèmes.
1°) Il s'agit de détruire des navires à quai, qui sont donc réparables ou peuvent continuer à se défendre, même si leur flottabilité n'est plus assurée, du fait du peu d'eau sous leur quille
2°) La très faible profondeur de la rade de Pearl Harbor, douze mètres. Or, une torpille lâchée d'un avion doit (par un bête effet de physique combinant le poids du projectile, la distance au sol et la vitesse de l'avion) s'enfoncer à plus de quinze mètres avant de se stabiliser et de remonter vers sa cible, même les excellentes torpilles japonaises Type 90 (les meilleures du monde à l'époque, tant par leur vitesse que par leur portée et leur efficacité).

Genda solutionna les deux problèmes.
1°) Pour causer le maximum de dommages aux navires à quai, il créa une bombe composée d'un obus de marine de 400mm. équipé d'ailerons ! Ces nouvelles bombes étaient donc perforantes, parfaitement adaptées pour percer un blindage et exploser dans les entreponts.
2°) Genda se rendit au Royaume d'Italie fasciste, au port de Tarente (profond de treize mètres), dans lequel une frappe aéronavale britannique avait, les 11 et 12 Novembre 1940, mis hors de combat les deux croiseurs de bataille cuirassés ultramodernes de la Regia Marina : le Littorio et le Vittorio Veneto. Il y apprit ainsi les détails de l'attaque britannique. Il en revint avec en tête les plans de la torpille japonaise Type 91, même charge explosive et même moteur que la Type 90, mais dans une structure composée de plus de bois, afin d'alléger l'arme, et d'ailerons détachables en bois destinés à se briser à la surface pour ralentir la chute de la torpille.

Les détails en eux-mêmes de l'attaque, ce furent pratiquement les Américains qui lui donnèrent ! En 1932, les Américains avaient tenu un exercice d'anticipation à Hawaï, afin de tester les capacités offensives d'un porte-avions (alors totalement nouveau dans les unités de surface). Il en avait résulté un constat sans appel : une force aéronavale pouvait mettre hors-service les unités à quai à Pearl Harbor sans que sa flotte de lancement ne soit repérée avant au moins une journée. Si ce bilan avait encouragé la U.S. Navy à construire des porte-avions, rien n'avait été fait pour améliorer les défenses du port !

Mais le Conseil Impérial bloquait toujours les propositions de Yamamoto, et celui-ci dut, fin Octobre 1941, menacer de démissionner si son plan d'attaque n'était pas discuté. Le 3 Novembre 1941, Hirohito se vit enfin exposer le plan d'attaque dans son ensemble, et il donna son accord deux jours plus tard. Les pilotes japonais sélectionnés s'entraînèrent à la hâte sur des maquettes gigantesques représentant Pearl Harbor et la position des navires américains dans la rade.

Maquette japonaise représentant Pearl Harbor

Les négociations avec les États-Unis d'Amérique, au point mort depuis plusieurs mois, furent relancées durant tout le mois de Novembre 1941. L'Empire du Japon multiplia les gestes et demandes d'amitié, stoppa ses offensives en Chine contre un peu de pétrole, mais la diplomatie bloquait toujours sur le retrait des troupes japonaises du continent ou sur celui de l'officieuse 14ème Air Force américaine, les Tigres Volants, en Chine.

Parallèlement, la Marine Impériale Japonaise faisait mouvement. Le 14 Novembre 1941, elle se rassembla au sud des Îles Kouriles (sud du Japon), leva l'ancre le 21 Novembre 1941, officiellement pour exercice, puis maintint le silence radio. La flotte venait en fait de se diviser en deux corps. Le premier, regroupant la plupart des unités de surface, des transports de troupes et quelques porte-avions de faible tonnage (Shoho et Zuiho), était commandé depuis le Yamato par Yamamoto en personne afin de superviser toutes les attaques, se dirigeait vers le Pacifique Ouest et vers les possessions américaines des Philippines, de la Nouvelle-Guinée et autres îles aux mains des puissances coloniales européennes. Le second groupe faisait route vers Hawaï.

Ce dernier groupe est commandé par le vieux Vice-Amiral Chuichi Nagumo (1887-1944), qui sans un être un des plus farouches opposants aux porte-avions (il commandera des forces aéronavales pendant toute la guerre) est plutôt spécialisé dans les manœuvres de surface. Cette force aéronavale, escortée seulement de destroyers et de croiseurs légers, regroupe les six plus grands porte-avions japonais : le Kaga, l'Akagi, le Hiryu, le Soryu, le Shokaku et le Zuikaku. Ils emportent près de 400 appareils, dont des chasseurs ultramodernes Mitsubishi Reisen A6M2 Type 21 "Zéro/Zeke", des bombardiers en piqué obsolètes Aichi D3A1 "Val" et des bombardiers torpilleurs déclassés Nakajima B5N2 "Kate". La flotte est précédée de sous-marins, envoyés en reconnaissance, dont cinq sont chargés d'approcher les côtes d'Hawaï et de lancer cinq sous-marins de poche Type A Ko-hyoteki Maru vers la rade de Pearl Harbor. Ces cinq submersibles sont commandés chacun par deux hommes, et sont équipés de quatre torpilles Type 92 (les meilleures de la guerre mais qui n'arment que des sous-marins du fait de leur taille). Sur les navires, les pilotes japonais répètent l'attaque sur des maquettes.

Chuichi Nagumo

Groupe d'attaque sur Pearl Harbor

Briefing à bord du Kaga

Le 1er Décembre 1941, Hirohito déclara officiellement la Guerre de la Grande Asie Orientale. Le lendemain, la flotte de Nagumo reçut la confirmation de l'ordre d'attaque : "Escaladez le Mont Niitaka". Le 6 Décembre 1941, alors que les relations diplomatiques s'amélioraient avec les Américains, que le Secrétaire d’État Cordell Hull (1871-1955) télégraphiait en personne à Hirohito pour le supplier de retirer ses troupes de Chine, le Conseil Impérial envoya à Kichisaburo Nomura (1877-1964), Ambassadeur de l'Empire du Japon aux États-Unis d'Amérique, un télégramme en code renforcé. La flotte japonaise était alors à 370 kilomètres au nord-ouest d'Hawaï, à la limite de son rayon d'action.

Kichisaburo Nomura

Le télégramme contenait quatorze points. Les dix premiers énuméraient les dix points en négociations et annonçaient la rupture diplomatique entre l'Empire du Japon et les États-Unis d'Amérique. Le onzième point ordonnait à Nomura de porter ce télégramme à Cordell Hull pour 13h (7h30 à Hawaï) le Dimanche 7 Décembre 1941. Le douzième ordonnait à Nomura de détruire par le feu tous les documents de l'ambassade japonaise. Le treizième signifiait le rappel à Tokyo de Nomura et de son équipe diplomatique sitôt leur mission achevée. Le quatorzième était la déclaration de guerre en elle-même : "En raison du comportement du gouvernement américain vis-à-vis de notre politique intérieure, comportement qui s'apparente à de l’ingérence, Sa Majesté l'Empereur se voit contraint de rompre toute négociation avec ledit gouvernement américain. À notre grande tristesse, il apparaît clairement que nos deux pays ne peuvent désormais trouver une issue pacifique au différend qui les oppose. Par conséquent, sa Majesté l'Empereur a le regret d'annoncer aux États-Unis d'Amérique qu'il considère nos deux nations comme étant maintenant en état de guerre."

Problème, le télégramme avait bénéficié d'un cryptage renforcé dont l'ambassade japonaise à Washington D.C. (District of Columbia) n'avait pas la clef entière. Le message était arrivé vers 23h (17h30 à Hawaï) le Samedi 6 Décembre 1941, les décrypteurs japonais n'en commencèrent le décodage que le lendemain matin et cela leur prit bien plus de temps que prévu...

Dimanche 7 Décembre 1941. Vers minuit, les sous-marins japonais, déjà en vue des côtes de Hawaï, lancent leurs engins de poche. À 5h45, les porte-avions japonais se mettent face au vent tandis que les moteurs des avions chauffent. L'aube se lève et les Japonais, y reconnaissant leur drapeau, y voient un bon présage. À 6h, sous les "Banzaï !" des équipages, la flamme rouge de l'Akagi, navire-amiral, est abaissée, signal du décollage. Le Capitaine Mitsuo Fuchida (1902-1976), à bord de son B5N2 "Kate" décolle le premier, bientôt rejoint par les 182 autres avions de la première vague d'assaut.

Mitsuo Fuchida et son B5N2 "Kate"

Chasseurs A6M2 "Zéros" prêts à décoller du Shokaku

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