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mardi 19 avril 2011

19 Avril 1871 : l'Appel

     Dans le conflit douloureux et terrible qui impose une fois encore à Paris les horreurs du siège et du bombardement, qui fait couler le sang français, qui fait périr nos frères, nos femmes et nos enfants écrasés sous les obus et la mitraille, il est nécessaire que l'opinion publique ne soit pas divisée, que la conscience nationale ne soit pas troublée.
     Il faut que Paris et le Pays tout entier sachent quelle est la nature, la raison, le but de la Révolution qui s'accomplit. Il faut enfin que la responsabilités des deuils, des souffrances et des malheurs dont nous sommes les victimes retombent sur ceux qui, après avoir trahi la France et livré Paris à l'étranger, poursuivent avec une aveugle et cruelle obstination la ruine de la capitale, afin d'enterrer dans le désastre de la République et de la Liberté, le double témoignage de leur trahison et de leur crime.
     La Commune a le devoir d'affirmer et de déterminer les aspirations et les vœux de la population de Paris ; de préciser le caractère du mouvement du 18 mars, incompris, inconnu et calomnié par les hommes politiques qui siègent à Versailles.
     Cette fois encore, Paris travaille et souffre pour la France entière, dont il prépare, par ses combats et ses sacrifices, la régénération intellectuelle, morale, administrative et économique, la gloire et la prospérité. Que demande-t-il ?
     La reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du peuple et le développement régulier et libre de la société.
     L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France, et assurant à chacun l'intégralité de ses droits, et à tous les Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et travailleur.
     L'autonomie de la Commune n'aura pour limites que le droit d'autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l'association doit assurer l'unité française.
     Les droits inhérents à la Commune sont :
_Le vote du budget communal, recettes et dépenses ; la fixation et la répartition de l'impôt ; la direction des services locaux ; l'organisation de sa magistrature, de la police intérieure et de l'enseignement ; l'administration des biens appartenant à la Commune.
_Le choix par l'élection ou le concours, avec la responsabilité, et le droit permanent de contrôle et de révocation des magistraux et fonctionnaires communaux de tous ordres.
_La garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté de travail.
_L'intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées, la libre défense de leurs intérêts ; garanties données à ces manifestations par la Commune, seule chargée de surveiller et d'assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité.
_L'organisation de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille seule au maintien de l'ordre dans la cité.
     Paris ne veut rien de plus à titre de garanties locales, à condition, bien entendu, de retrouver dans la grande administration centrale, délégation des communes fédérées, la réalisation et la pratique des mêmes principes.
     Mais, à la faveur de son autonomie et profitant de sa liberté d'action, Paris se réserve d'opérer comme il l'entendra, chez lui, les réformes administratives et économiques que réclame sa population ; de créer des institutions propres à développer et propager l'instruction, la production, l'échange et le crédit ; à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du moment, le voeu des intéressés et les données fournies par l'expérience.
     Nos ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de vouloir imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et de prétendre à une dictature qui serait un véritable attentat contre l'indépendance et la souveraineté des autres communes.
     Ils se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de poursuivre la destruction de l'unité française, constituée par la Révolution, aux acclamations de nos pères, accourus à la fête de la Fédération de tous les points de la vieille France.
     L'unité, telle qu'elle nous a été imposée jusqu'à ce jour par l'empire, la monarchie et le parlementarisme, n'est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse.
     L'unité politique, telle que la veut Paris, c'est l'association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles, en vue d'un but commun, le bien-être, la liberté et la sécurité de tous.
     La Révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique.
     C'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres.
     Que cette chère et grande patrie, trompée par les mensonges et les calomnies, se rassure donc.
     La lutte engagée entre Paris et Versailles est de celles qui ne peuvent se terminer par des compromis illusoires : l'issue n'en saurait être douteuse. La victoire, poursuivie avec une indomptable énergie par la garde nationale, restera à l'idée et au droit.
     Nous en appelons à la France !
     Avertie que Paris en armes possède autant de calme que de bravoure ; qu'il soutient l'ordre avec autant d'énergie que d'enthousiasme ; qu'il se sacrifie avec autant de raison que d'héroïsme ; qu'il ne s'est armé que par dévouement pour la liberté et la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant conflit !
     C'est à la France de désarmer Versailles par la manifestation solennelle de son irrésistible volonté.
     Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu'elle se déclare solidaire de nos efforts ; qu'elle soit notre alliée dans ce combat qui ne peut se terminer que par le triomphe de l'idée communale ou par la ruine de Paris !
     Quant à nous, citoyens de Paris, nous avons la mission d'accomplir la révolution moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l'histoire.
     Nous avons le devoir de lutter et de vaincre !
Paris, le 19 avril 1871.
La Commune de Paris

Placardé dans les rues de la capitale et dans les grandes villes de France, publié dans les journaux, cet appel avait été rédigé peu à peu au terme de chaque débat du Conseil de la Commune afin d'établir un programme politique propre au mouvement, qui ferait de la France une association fédérale de municipalités, dont la capitale resterait Paris, tandis que se mettrait en place un système socialiste mais non point marxiste ou même communiste (notions qui n'existent pas encore). Mais cet exposé du programme de la Commune est visiblement assorti d'un appel à l'aide. Paris sait qu'il ne peut vaincre Versailles et l'armée française seul. Certes le ravitaillement arrive encore, les ateliers fonctionnent, des champs potagers sont semés entre les remparts et les habitations, mais combien de temps Paris tiendra-t-il ? Il devient chaque jour évident que de plus en plus de troupes (déjà près de 100.000 mi-Avril 1871) se massent autour de la capitale et on se bat quotidiennement dans les faubourgs, à Villejuif, à Neuilly-sur-Seine, à Asnières.

Mais la Commune a déjà raté son coup. Les quelques Communes à s'être déclaré dès fin 1870 dans le sud de la France, l'éphémère Ligue de Midi (Voir le bilan début Juin, promis !) ont été matées par l'armée régulière plusieurs semaines plus tôt déjà. Et surtout, la France est lasse de voir Paris décider de son sort, lasse des révolutions (particulièrement une révolution ouvrière, donc urbaine, rappelons que la France est un pays encore rural à 80%), et lasse de la guerre. Surmonter une défaite n'est déjà pas chose facile, alors pourquoi s'enliser dans une guerre civile ? L'Assemblée Nationale de la Troisième République Française, à Versailles, n'a a prendre aucune mesure pour contrer cet appel, qui (s'il ne passe pas inaperçu) fait l'effet d'un coup d'épée dans l'eau. En toute connaissance de cause, la France abandonne Paris à son sort. Pour Thiers, cela vaut tous les plébiscites. Il a désormais les mains libres et la bénédiction silencieuse du peuple pour écraser la Commune.

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