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dimanche 3 avril 2011

3 Avril 1871 : la Grande Sortie

Dans la nuit du 2 au 3 Avril 1871 se tient à l'Hôtel de Ville de Paris un conseil de guerre extraordinaire, visant à organiser une grande sortie pour s'emparer de Versailles. La Garde Nationale Mobile peut alors compter virtuellement sur plus de 100.00 hommes. Aucun plan d'attaque précis n'est arrêté, sinon que l'offensive se fera sur trois axes qui devront faire leur jonction à Versailles. Pour Jules Henri Marius BERGERET (1830-1905), Délégué à la Guerre, l'expédition ne sera qu'une promenade militaire, fusil à l'épaule. En effet, ils n'ignorent pas que les conditions de l'armistice avec l'Allemagne imposent à la France de limiter son armée à 40.000 hommes en Île-de-France, mais pour cela encore faut-il que l'armée française existe encore ! Pour eux, seuls quelques bataillons défendent Versailles. Ce qui était encore vrai une semaine plus tôt. Mais trois jours auparavant, ce sont 12.000 hommes de l'Armée du Sud qui campent à Versailles.

Jules BERGERET

De plus, au même moment, à Versailles, Thiers se fait ovationner par l'Assemblée Nationale en annonçant qu'il est en train de monter "une des plus belles armées que la France ait possédée". Il vient en effet d'obtenir l'accord du Prince-Chancelier Allemand Otto Eduard Leopold von BISMARCK-SCHÖNHAUSEN (1815-1898) de masser plus de 40.000 hommes devant Paris et de réarmer les forts ouest. Mieux : Bismarck libère, en échange du droit d'occuper les forts est de Paris, 60.000 prisonniers de guerre. Au matin du 3 Avril 1871, ce sont 72.000 hommes et plusieurs compagnies d'artillerie de campagne qui forment l'Armée Versaillaise.

Dans la matinée, les Fédérés s'organisent vaguement pour mener l'offensive. Chaque combattant est laissé libre de choisir sa colonne d'attaque et d'élire ses officiers. Assez rapidement tout de même, les trois corps sont constitués :
_I Colonne du Nord/de Droite : 15.000 hommes, leur Général élu est le député Gustave FLOURENS. Comme cette colonne est la plus puissante, Bergeret s'y adjoint comme Général en Chef.

Gustave FLOURENS

_II Colonne de l'Ouest/du Centre : 10.000 hommes dirigés par le député Émile EUDES.

Émile EUDES

_III Colonne du Sud/de Gauche : 3.000 hommes commandés par le député Émile Victor DUVAL.

Émile DUVAL

Total : 23.000 hommes au lieu des 100.000 espérés. Les officiers n'y prêtent guère attention et les "déserteurs" se massent, en uniforme, avec la foule sur les remparts pour assister à l'opération. Pour que tout le monde profite du spectacle, on descend les canons des murailles pour faire de la place. Et certains combattants omettent de passer à l'armurerie pour s'équiper en munitions, tant on leur a ressassé qu'il s'agit d'une promenade militaire. Les officiers sont pour la plupart des civils inexpérimentés, persuadés de trouver au devant d'eux moins de 6.000 soldats.

Cette optimiste expédition s'élance en début d'après-midi.

Début prometteur pour la colonne I. Le hameau de Puteaux, perdu la veille lors de l'offensive versaillaise sur Courbevoie, est repris à quelques dizaines de défenseurs surpris de cette sortie en force. La colonne marque alors un instant d'hésitation, face au drapeau tricolore qui flotte sur la Forteresse du Mont-Valérien. Canons ou pas ? Si ça tourne mal, l'artillerie parisienne ne pourra pas intervenir, et la sortie n'a pas emmené de canons. Finalement, Bergeret décide de se porter directement sur le fort (Ib) tandis que Flourens poursuit avec l'essentiel de la colonne par la route principale en direction de Nanterre (Ia). Personne ne pense à se porter sur Courbevoie, où se trouve deux bataillons versaillais qui observent les Communards, les suivent, et avertissent le Général Joseph VINOY (1800-1880), stationné avec 40.000 hommes à Garenne.
Rapidement, Bergeret se fait tailler en pièces par l'artillerie, récemment réinstallée, du Mont-Valérien. La surprise est profonde chez les Fédérés, qui se débandent et regagnent l'abri des remparts. Bergeret est immédiatement mis aux arrêts. Parallèlement, Flourens emmène vaillamment ses 10.000 hommes, sous le feu des canons, jusqu'à Garenne. Ils tombent face à Vinoy. Surpris, ils n'en restent pas moins soudés et dévient vers Nanterre, jouant sur la vitesse et l'effet de surprise pour s'emparer de Versailles et de l'Assemblée Nationale. Mais Vinoy leur barre la route. Un bref et violent engagement prouve la supériorité des troupes régulières de Versailles, qui n'ont à déplorer que quelques morts et blessés, alors que les Communard laissent 3.000 hommes sur le terrain. Flourens se réfugie à Rueil-Malmaison et s'y fortifie avec les survivants, rapidement encerclé par Vinoy et pilonnés par l'artillerie versaillaise. Au soir, entouré des quelques 4.000 survivants, à bout de munitions, Gustave FLOURENS capitule. Alors même qu'il vient de rendre son arme et de se mettre à disposition de la justice, il est abattu au revolver et sans procès par le Capitaine de Gendarmerie DESMARETS.

Joseph VINOY

Au centre, la colonne II est littéralement stoppée sous les murs du Fort d'Issy, là aussi renforcé de quelques canons. Rageur, Eudes ne compte pas laisser une troupe de 10.000 hommes se faire battre par quelques réguliers. Il rameute ses troupes et lance un assaut aussi héroïque que coûteux sur l'enceinte. Les 600 défenseurs savent que le fort est perdu, par le seul poids du nombre. Ils font sauter les canons et se replient en bon ordre et rejoignent les 5.000 hommes que vient de leur dépêcher Vinoy. La Commune est maîtresse du Fort d'Issy, mais la colonne est ébranlée et a subi de lourdes pertes. L'attaque n'ira pas plus loin.

Au sud, la colonne III est là aussi mise en difficulté par les canons du Forts d'Ivry. Après plusieurs tentatives infructueuses et coûteuses pour s'en emparer, les Communards abandonnent la partie. 1.000 d'entre eux retournent à Paris (IIIb), tandis que Duval entraîne les 1.000 autres survivants vers Versailles dans la soirée (IIIa), lorsque le crépuscule gêne le tir des servants versaillais, pour aller faire sa jonction avec la colonne II. Il tombe à Malakoff sur les forces de Vinoy qui assiègent Issy. Apprenant que Vinoy en personne est en route et vient d'en finir avec Flourens, Duval se replie sur Châtillon et s'y retranche. Il est assiégé vers 23h.

Au soir du 3 Avril 1871, il apparaît déjà que la sortie est un désastre. La colonne principale est quasiment anéantie et n'a réalisé aucun gain de terrain. La seconde colonne, si elle a enregistré un certain succès au Fort d'Issy, a perdu toute capacité offensive. Et les survivants de la vaillante troisième colonne sont encerclés à cinq kilomètres des remparts. La Commune de Paris a déjà perdu près de 10.000 combattants. De plus, les Parisiens prennent conscience que Versailles déploie une véritable armée contre eux, et non pas quelques régiments.

Carte des opérations des 3 et 4 Avril 1871.

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