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dimanche 15 mai 2011

Interlude : Chants de la Commune

Anonyme, "La défense de Paris" (1870).






Non jamais sur cette terre
On ne vit en vérité,

Pareille calamité,

Ni plus affreuse misère,

Que celle que l'on subit

Sous le siège de Paris.


Paris ! Cette ville aimable,

Qui donc ose l'assiéger ?

Serait-ce cet étranger,

Qu'avec un accueil affable

Elle admettait en son sein ?

Oui, c'est lui son assassin.


C'est d'accord avec l'infâme

Celui qui livra Sedan :

Bonaparte, ce tyran !

Ce gredin sans cœur, sans âme !

Que la Prusse avec ardeur,

Accomplit notre malheur.


Lors du fameux plébiscite,

Sans tous ceux qu'ont voté oui

On n'aurait pas aujourd'hui

Cette guerre tant maudite :

Paris qui n'y est pour rien

À cette heure en souffre bien.


Que de chagrin, que de peine !

Pour un moment d'abandon ;

Si l'on avait voté non,

La France Républicaine,

Pour l'instant, ne serait pas

Dans un si triste embarras.


Quand on pense que nous sommes

Privés de relations,

De communications,

Avec le reste des hommes ;

Du monde pour nous le bout

Ne va pas même à Saint-Cloud.


Quand le ballon nous emporte

Dans tous les départements.

Des lettres pour nos parents,

Jamais il ne nous rapporte

Les réponses, ce qui fait

Qu'on en est très inquiet.


Nous n'avons de leurs nouvelles

Qu'au moyen de nos pigeons ;

Mais des Prussiens, les faucons

Les chassent à tire-d'aile :

Sur dix, il en revient deux ;

On le voit, c'est très chanceux.


L'aspect de toutes nos rues

Est lugubre, car, hélas !

On a supprimé le gaz

Même avant une heure indue,

Et les magasins, le soir,

Font vraiment du mal à voir.


D'ailleurs, toutes les boutiques

N'ont plus rien d'étalagé,

À part chez le boulanger,

C'est en vain que les pratiques

Chercheraient quoi que ce soit ;

On n'a plus même de bois


Car dans cet horrible siège

On est bien privé de tout ;

Mais de chauffage surtout,

Et sur nos toits, blancs de neige,

L'hiver, en signe de deuil,

Vient étendre son linceul.


Un jour une pauvre mère

Privée de bois, de charbon,

Attend la distribution

Une journée tout entière ;

Dans ses bras cruel effroi !

Son enfant est mort de froid !


On a vu dans les tranchées

Des soldats, de froid périr ;

Ils préféreraient mourir

D'une mort plus recherchée,

Vis-à-vis de l'ennemi

En défendant le pays.


Et nos pauvres ménagères

Attendent en pataugeant,

Souvent trois heures durant,

Pour obtenir d'ordinaire

Un pot-au-feu de cheval

Ce brave et noble animal.


C'est en pleurant qu'on le mange,

Et l'on n'en a pas toujours ;

Il arrive bien des jours

Que, par force, l'on s'arrange

D'un plat, qui n'est pas très gros,

De riz cuit avec de l'eau.


Il est des êtres rapaces !

J'en rougis ; mais des marchands

Exploitent les pauvres gens ;

Jugez où va leur audace,

Ils vendent un mauvais chou

Jusqu'à des six francs dix sous.


On se nourrit d'épluchures,

De chats, de chiens et de rats ;

On vend des choses au tas

Que l'on jetait aux ordures ;

Mais on s'en repaît enfin,

Pour ne pas mourir de faim.


Dans une pauvre mansarde,

Située rue Desnoyers

La femme vient d'expirer,

Et, seul, son mari la garde ;

Quand, privé de tout secours,

De faim, il meurt à son tour.


Et le matin quand on rentre

De la garde rempart,

Des pommes de terre au lard

Feraient tant de bien au ventre ;

Mais ce légume est passé ;

Du moins, c'est pour les blessés.


Or, toutes les ambulances

Que l'on a fait à grands frais,

Sont pleines, ou à peu près

Sans compter ceux que la France,

Parmi ses enfants perdus,

Ne reverra jamais plus !


Que de mères en alarmes !

Gémissent en ce moment

Sur le sort de leurs enfants

Qu'a trahi celui des armes ;

Mort sous le plomb meurtrier,

Ou tout au moins prisonnier !


Eh  bien ! De tous ces ravages,

Nous souffrons sans murmurer ;

Loin de nous désespérer

Ils augmentent nos courages :

On ne vaincra pas Paris,

Tant que nous serons unis !

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