Le
ciel est dégagé mais la nuit n'est pas claire pour autant. C'est
presque la nouvelle Lune, il fait sombre. Pas un souffle de vent ne
vient agiter les flots, la mer est d'huile, presque parfaitement lisse.
Cela rend d'autant plus difficile le repérage d'obstacles car aucune
vague ne vient s'y briser en créant cette écume blanche si
caractéristique et visible de loin. Pire, l'absence de vent ne permet
pas à la brume thermique de se disperser. Cette brume se crée à la
surface de l'eau à cause du choc de température entre l'air et l'eau,
qui refuse de geler malgré les -15°C extérieurs et les -2°C de la mer.
Perchés
dans le nid de pie du mât avant, les veilleurs LEE et FLEET tentent
d'être attentifs. Mais ils ne disposent pas de jumelles, oubliées à quai
à Southampton. Sur la passerelle, le 1er officier MURDOCH, le 4ème
officier "junior" BOXHALL et le 6ème officier "junior" MOODY sont de
quart. Le quartier-maître HICHENS est à la barre. Le commandant est
parti se coucher vers 22h45, demandant qu'on le réveille s'il se passe
quoi que ce soit. Dans la cabine radio, PHILLIPS et BRIDE tentent de
rattraper le retard, pris à cause de la panne de la journée, dans les
messages privés à envoyer. Le R.M.S. Titanic, illuminé de toutes ses lumières, file à 22,5 nœuds marins (41,7 km/h) dans ces eaux dangereuses.
À 23h39, les veilleurs FLEET et LEE n'en croient pas leurs yeux. Surgissant de la brume, un monstre de glace de près de trente mètres de haut (aussi haut que le navire !) se dresse droit devant le Titanic, à un peu plus de 500 mètres. La brume, le calme plat et le manque de jumelles ont empêché de le voir avant. L'iceberg devait alors ressembler à la photo du bas, encadrée en bleu (cliché pris d'un autre navire le lendemain). Lorsqu'on l'a retrouvé et identifié formellement deux semaines plus tard, il avait un peu diminué mais c'était bien lui, déchiré sur un flanc et portant des traces de peinture.
C'est LEE qui voit le danger en premier mais c'est FLEET (à gauche en médaillon) qui réagit. Trois coups de cloche résonnent sinistrement dans la nuit sur le navire endormi. BOXHALL, qui prenait l'air sur la passerelle extérieure (sur le montage ci-dessous et dans "Titanic" de CAMERON, c'est MURDOCH), cherche à savoir ce qui se passe. MURDOCH, qui, lui, dispose de jumelles, scrute l'horizon. C'est MOODY qui répond au téléphone qui communique avec la vigie. C'est plus un cri qu'une réponse qui lui parvient. "Iceberg ! Droit devant !" On dit même qu'il l'a eu en stéréo, l'obstacle étant tellement proche que BOXHALL et MURDOCH l'ont vu au même instant, hurlant la même alerte dans la passerelle.
Tout se passe alors très vite, trop vite. Le 1er officier MURDOCH est le plus gradé, c'est à lui de prendre une décision. Plusieurs choix s'offrent à lui.
_Se
dire que c'est trop tard et prendre le risque de frapper l'iceberg de
plein fouet par la proue, comptant sur les quatre compartiments avant
étanches pour assurer la flottabilité du navire, mais en prenant le
risque de dommages structurels importants suite à un choc frontal d'un
paquebot de 50.000 tonnes lancé à 42km/h.
_Tenter de l'éviter en tournant.
Il
choisit la deuxième option, craignant (avec raison) que le navire ne
résiste pas au choc frontal avec un tel monstre. Mais il commet une
erreur lors de la manœuvre.
MURDOCH agit en moins de dix secondes. "Barre à droite, toute !" (Note :
en navigation et selon la conception des navires de l'époque, cela
revenait à faire virer le navire... à gauche, à bâbord.) Puis il fait
stopper les moteurs. MOODY affirme qu'il a fait mettre les machines en
arrière, mais les mécaniciens et les autres officiers disent qu'il a bel
et bien réglé le transmetteur d'ordres sur "Stop". Ce qui est probable
car faire marche arrière n'aurait servi à rien sinon à annuler la
vitesse du navire et à l'empêcher de tourner, un officier de la qualité
de MURDOCH en était conscient. Ceci fait, il actionne la fermeture des
portes étanches. Depuis l'alerte, il s'est écoulé seulement 12 secondes.
Durant encore 25 secondes, tous les officiers retiennent leur souffle.
L'erreur
de MURDOCH a été de faire stopper les machines. Le navire lutte
maintenant contre sa propre inertie pour tourner, rendant la barre
difficile à manœuvrer, ce que remarque à voix haute HICHENS qui pèse de
tout son poids sur la barre. Brisé dans son élan, le Titanic
tourne moins vite que si sa vitesse avait été constante. Mais de toute
façon, son gouvernail est un peu court au vu de sa taille et de son
poids, rendant hasardeux un virage d'urgence. Par ailleurs, le Titanic ne peut s'arrêter que sur trois fois sa longueur, il lui faut donc plus de 800 mètres pour s'immobiliser...
Les secondes s'écoulent et semblent durer des heures. Le paquebot ne vire toujours pas, l'iceberg se rapproche rapidement. Alors que moins de 100 mètres séparent les deux géants, l'un de l'Homme et l'autre de la Nature, enfin la proue du Titanic semble vouloir tirer un peu à bâbord (à gauche). L'étrave s'éloigne de la glace. Lentement. Très lentement. Trop lentement. 37 secondes précisément après avoir été repéré, l'iceberg frappe le Titanic sur son flanc droit, des pans de glace tombant sur le pont. Il est 23h40, le Dimanche 14 Avril 1912. (L'image du dessus ci-dessous est extraite du téléfilm "Le Titanic" [1996])
Petite scène de collision, extraite du film "Atlantique, latitude 41°" (1958), réalisé en partie grâce au témoignage oral de survivants venus eux-mêmes sur le plateau. Remarquez Frederick FLEET dans le nid de pie, celui qui cloche et qui appelle. Regardez maintenant "Titanic" (1997) de CAMERON. Faites attention au colonel GRACIE à qui Rose demande durant le naufrage s'il reste des canots et à qui elle met, sans écouter la réponse, un sacré vent. Bon, ben c'est le même acteur, Bernard FOX (1927- ), à quarante ans d'intervalle dans deux films sur le Titanic. Pas d'image, je n'en ai pas trouvé de satisfaisantes... Remarquez également la ressemblance de l'iceberg avec la photo encadrée en bleu du montage plus haut.
On
a longtemps cru que l'iceberg avait raclé la coque du paquebot sur 100
mètres en la déchirant. Une telle brèche aurait englouti le navire en 20
minutes, portes étanches ou pas... On sait aujourd'hui qu'en réalité,
l'iceberg a bel et bien raclé le Titanic sur 100 mètres mais
sans déchirer la coque. Les tôles d'acier renforcé résistent bien au
choc, choc qui par ailleurs n'est absolument pas ressenti. Seul HICHENS à
la barre fait exception, du fait qu'il tient toute la superstructure du
navire entre ses mains. Seuls quelques passagers de Troisième Classe
sont réveillés par un bruit de tôle froissée. La faiblesse vient des
rivets. Les fameux rivets dont une moitié a été faite en fer et non en
acier par faute de temps. Les rivets en acier tiennent le choc, pas les
rivets en fer. Ils cèdent, les uns après les autres sous l'impact. Les
tôles ainsi désolidarisées laissent pénétrer l'eau, non par véritable
perforation mais par écartement des plaques. Au total, la brèche dans la
coque fait un peu plus d'un mètre au carré. Mais sous la pression de
l'eau, ça fait quand même plusieurs milliers de litres qui se déversent
chaque seconde dans les cales du Titanic. Mais surtout, la
brèche s'étend au-delà du quatrième compartiment. Or, après celui-là,
même s'il y a encore des portes étanches, les ponts ne le sont plus, ce
qui permet à l'eau de se répandre par dessus les portes.
MURDOCH fait rétablir la barre pour éviter que la poupe ne touche à son tour. Les passagers encore debout et sur le pont peuvent alors admirer l'iceberg frôler le Titanic. Comme aucune secousse n'ébranle le navire, personne ne s'inquiète. Sur la passerelle, l'ambiance est tendue. Le Titanic s'arrête finalement quelques centaines de mètres plus loin tandis que l'iceberg poursuit son bonhomme de chemin, porté par les courants. L'incident est relaté dans le journal de bord. Dimanche 14 Avril 1912, 23h40, le R.M.S. Titanic a heurté un iceberg par 41°46'N et 50°14'O.
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