Lundi 15 Avril 1912.
À
0h20, ordre est donné aux machinistes d'éteindre les chaudières et d'en
évacuer la pression, afin d'éviter tout risque d'explosion et de coup
de grisou dû au choc thermique entre l'eau à -2°C et la salle des
machines à +60°C... À 0h25, il en résulte l'expulsion brutale par les
trois cheminées de toute la vapeur sous pression. Cette purge produit un
sifflement sourd, fort et continu, bruit qui persistera jusqu'à 0h40.
Les machinistes sont ensuite invités à se réfugié à l'arrière, dans la
chaufferie n°1, protégée par les pompes placées à cet effet par ANDREWS,
afin de maintenir un rendement minimal pour faire fonctionner la dynamo
du Titanic afin d'alimenter le navire en électricité, ce qui
aidera aux opérations de sauvetage et permettra surtout de continuer à
émettre par T.S.F..
À
partir de 0h10, les officiers commencent à bosser les canots de
sauvetages. Le 1er officier William MURDOCH est chargé de l'embarquement
à tribord (droite), tandis que le 2nd officier Charles LIGHTOLLER est
chargé du côté bâbord (gauche). À 0h25, le commandant SMITH répète
l'ordre de faire monter en priorité les femmes et les enfants. Il n'y a
que 1.178 places à bord des canots pour 2.213 personnes à bord du
paquebot.
À
0h30, le commandant demande à l'orchestre de jouer quelque chose
d'enjoué pour éviter la panique sur le pont des embarcations. Voilà donc
les sept musiciens, armés de leurs violons, violoncelles et
contrebasse, qui s'installent près du gymnase et commencent à jouer.
Leur premier morceau est, selon les témoignages, "The Wedding Dance Waltz".
Note :
Petit effort d'imagination cher lecteur. Vous vous imaginez en train de
couler en musique ? C'était vraiment une autre époque...
Par
ailleurs, l'évacuation commence lentement. En fait non, elle ne
commence pas. Les passagers de Première Classe, les premiers prévenus et
dont le pont donne directement sur le pont des embarcations, ne croient
pas au naufrage. Seuls quelques hommes au fumoir sont bien forcés de
constater que l'alcool ne se tient plus droit dans leurs verres et pour
cause, le Titanic penche... Toujours de plus en plus vers
l'avant, doucement, et cette fois-ci vers bâbord, du fait des opérations
de pompage et des compartiments transversaux, la gîte se fait du côté
opposé à la brèche. Mais rien qui ne se ressente vraiment du côté
passager. Ceux-ci patientent dans le Grand Escalier ou dans le gymnase,
aucun ne veut sortir par ce froid et surtout vu le bruit assourdissant
provoqué par la purge des chaudières. L'ambiance est plutôt détendue,
même si les stewards distribuent des gilets de sauvetage et que quelques
hommes de confiance (Archibald GRACIE notamment) ont été mis au courant
de la situation par SMITH, ANDREWS ou ISMAY. Certains passagers
retournent même purement et simplement à leurs cabines, d'autres
refusent d'en sortir au milieu de la nuit. Au gymnase, on voit même John
Jacob ASTOR disséquer au couteau un gilet de sauvetage pour montrer à
son épouse Madeleine comment c'est fait à l'intérieur...
Les passagers de Seconde Classe sont aussi avertis,
mais l'incrédulité ralentit également les préparatifs. Certains se
dirigent tout de même vers le pont des embarcations et vont se mêler à
la foule au gymnase, certains profitent même de l'occasion pour aller
voir de leurs yeux le Grand Escalier et sa coupole. Quant aux passagers
de Troisième Classe, eux, ils sont au courant que le bateau prend l'eau.
Le quartier de l'équipage et les cabines à l'avant du Pont E et du Pont
D commencent à être inondés. Cela étant, ils se groupent dans leur
salon en attendant des instructions qui ne viennent pas. Entendons-nous
bien, l'équipage ne les martyrise pas, ne les brime pas, ne les grillage
pas, il les a tout simplement oubliés dans le désordre en cours. Les
grilles qui devaient être ouvertes en cas d'urgence, celles qui
permettent de rejoindre l'escalier avant de la Seconde Classe pour
rejoindre le pont des embarcation, restent fermées, faute de personnel
pensant à les ouvrir. Cela complique sévèrement l'accès aux ponts
supérieurs mais sans le rendre impossible. Ainsi, de petits groupes de
passagers empruntent l'escalier arrière, arrivent à la poupe et
empruntent illégalement mais sans qu'on leur en tienne rigueur les
couloirs des équipages pour parvenir finalement au Grand Escalier de
Seconde Classe qui leur permet enfin d'arriver au pont. Cet exemple
n'est pas suivi par les familles qui préfèrent attendre les consignes
auprès de leurs enfants. Ce sont donc des immigrants solitaires des deux
sexes qui parviennent sur le pont des embarcation et ce dès le début de
l'évacuation.
Sur
la passerelle, à 0h35, le commandant en second Henry WILDE repère un
mât allumé sur tribord, à environ dix miles. Il s'agit du chalutier
Samson, qui ne dispose pas de la T.S.F., pris dans les glaces et dont
l'équipage est au repos. Néanmoins, SMITH décide de tirer les dix fusées
du navire pour attirer l'attention. Il faut savoir qu'à l'époque, les
fusées étaient blanches et servaient à tout : signaux entre navires
d'une même compagnie, signalement d'un danger ou d'un obstacle,
signalement de position, bref à faire signe sans pour autant que ce soit
grave. SMITH ordonne également de tenter d'entrer en communication par
télégraphe optique. À 0h40 l'évacuation commence enfin, les passagers
sont invités à se rendre sur le pont tandis que le bruit des cheminées
s'estompe et s'éteint. Alors que l'embarquement dans les canots
commence, de la passerelle part la première fusée qui illumine le ciel
et qui est acclamée par les passagers comme une fusée de feux
d'artifices...
À
0h45, LIGHTOLLER charge le premier canot à bâbord, le canot n°4.
LIGHTOLLER applique strictement à la lettre les consignes du
commandant. Un peu trop. Il ne laisse aucun homme monter. Le canot de
65 places accueille ainsi 35 personnes, dont 4 hommes d'équipage pour
manœuvrer. À bord se trouve Madeleine ASTOR, enceinte. Son mari, qui
était descendu pour l'installer, demande s'il peut l'accompagner au vu
de "sa situation délicate". LIGHTOLLER le regarde de travers et John
Jacob ASTOR n'insiste pas et sort du canot... La chaloupe est alors
affalée mais, sur ordre de LIGHTOLLER, arrêtée au niveau du Pont A pour
pouvoir embarquer des passagers de seconde et de Troisième Classe, qui
sont invités à embarquer mais qui se rendent compte une fois sur place
que le pont est vitré et qu'ils ne peuvent embarquer. Le temps que
l'information remonte, les officiers s'occupent déjà des autres
embarcations et le canot n°4 reste donc planté là, à trois mètres sous
les bossoirs et à 25 mètres au-dessus des flots.
À
0h45 toujours mais du côté tribord, MURDOCH fait également affaler son
premier canot. Il s'agit du canot n°7. MURDOCH se montre plus souple
avec les consignes concernant les hommes car il se heurte à un drôle de
problème : les passagers, refusant toujours de croire au naufrage, ne
veulent pas embarquer ! MURDOCH compense donc le manque en autorisant
les hommes à monter une fois que les femmes ont embarqué. Malgré cela et
malgré les consignes, le canot n°7 ne descend qu'avec 28 personnes à
bord pour 65 places...
À
0h55, une seconde fusée est tirée tandis que le canot n°6 est mis à
l'eau à bâbord. 23 personnes à bord pour 65 places, dont quatre hommes
d'équipage. LIGHTOLLER assurant le tri, les évacués ne sont que des
femmes de Première Classe, dont Margaret BROWN. Parmi les marins, on
compte le veilleur Frederick FLEET et le quartier-maître Robert HICHENS
qui est bien décidé à garder la barre (on se rappelle pourtant que ça ne
lui avait guère réussi une heure plus tôt...). Ne reste donc que trois
rameurs seulement. Molly BROWN, alors que le canot descend, ordonne
sèchement d'arrêter la descente et interpelle LIGHTOLLER (et SMITH à ses
côtés) pour qu'il fasse monter un rameur en plus. C'est à ce moment
qu'un passager italien de Troisième Classe, Philippo ZENNI, chute dans
la chaloupe et s'y casse le bras, sans que l'on sache très bien s'il a
sauté volontairement dedans où s'il est tombé en manœuvrant le bossoir
lors de l'arrêt brutal intimé par Molly BROWN. Aux côtés du 2nd
officier, le major PEUCHEN, yachtman, propose alors ses services. Notons
que LIGHTOLLER lui avait sévèrement défendu l'accès au canot quelques
minutes plus tôt. Alors que SMITH veut faire remonter le canot pour lui
permettre d'embarquer, l'officier demande à PEUCHEN de faire ses preuves
en descendant à la corde les huit mètres qui le sépare de
l'embarcation. PEUCHEN ne se fait pas prier et y parvient... plantant là
et sur le pont son ami (également yachtman) le banquier MOLSON qu'il
avait invité sur le Titanic et qui, lui, n'a pas cherché à monter dans la chaloupe... Le canot n°6 touche finalement l'eau avec 25 personnes à bord.
À
0h55 toujours, côté tribord, le canot n°5 est affalé. MURDOCH fait
toujours face au refus des passagers d'embarquer. De même que pour le
canot précédent, il fait monter les hommes mais malgré cela
l'embarcation de 65 places n'est qu'à moitié remplie. Tous les rescapés
sont de Première Classe à l'exception de deux hôtesses, placées de force
par ISMAY (qui a pris le temps de passer un vêtement chaud par dessus
son pyjama, puis de remettre sa robe de chambre, une écharpe et son
chapeau...) qui s'en retourne aussi vite pour convaincre ses passagers
de sauver leur vie. Le canot n°5 touche l'eau avec 36 personnes à bord
seulement, dont huit membres d'équipage. C'est le 3ème officier "junior" Herbert PITMAN qui est chargé d'en prendre la direction.
William
MURDOCH, s'embarrassant moins du tri homme/femme, gagne du temps et se
montre plus efficace que Charles LIGHTOLLER, tant au nombre de passagers
embarqués que sur la rapidité d'évacuation. Cinq minutes plus tard, à
1h00, le canot n°3 est affalé à tribord avec 40 personnes à bord pour 65
places.
Sur
la passerelle, on s'interroge toujours sur l'absence de réponse du
mystérieux navire aperçu au loin. Une troisième fusée est tirée. Ce
manège ne passe cependant pas inaperçu. Le Californian, à 20 miles, s'il ne peut apercevoir les lumières du Titanic trop loin en voit néanmoins les fusées. Croyant que cela provient du navire qu'il aperçoit dans ses jumelles, le silencieux Samson,
l'officier de quart tente de prendre contact par télégraphe optique
sans succès. Il n'ose pas réveiller le radio mais réveille le capitaine,
qui refuse de s'en inquiéter, interprétant les fusées comme un signal
de compagnie pour l'arrêt au milieu des glaces et se rendort aussi sec.
À
1h10, le canot n°8 est mis à l'eau à bâbord avec 28 personnes à bord
pour 65 places. Que des femmes (dont la comtesse Lucy Noël Leslie Martha
de Rothes [1878-1956]) à l'exception de quatre membres d'équipage,
LIGHTOLLER se montre toujours aussi intransigeant. ISMAY
s'est distingué lors de l'embarquement en voulant faire descendre le
canot plus rapidement, s'emparant d'un cordage et s'attirant
immédiatement les foudres du 5ème officier "junior" Harold LOWE : "Nous
ne pouvons pas aller plus vite ! Vous allez tous nous les noyer !
Dégagez de là !". "Savez-vous qui je suis ?" demande ISMAY dans un
sursaut d'orgueil. "Un passager, et c'est mon poing sur la gueule si
vous restez dans nos jambes !" lui rétorque l'officier. ISMAY va voir à
tribord s'il y est...
Sur l'extrait ci-dessous, on peut voir le canot n°8 à droite, celui au centre étant le n°6, sur lequel s'engage un vif débat entre HICHENS et Molly BROWN qui veut retourner embarquer plus de passagers alors que le matelot craint que trop de monde embarque et fasse chavirer la chaloupe ou que les remous du navire ne le fasse couler. Le canot se range à l'avis de HICHENS, qui servira néanmoins de bouc émissaire après coup...
Sur l'extrait ci-dessous, on peut voir le canot n°8 à droite, celui au centre étant le n°6, sur lequel s'engage un vif débat entre HICHENS et Molly BROWN qui veut retourner embarquer plus de passagers alors que le matelot craint que trop de monde embarque et fasse chavirer la chaloupe ou que les remous du navire ne le fasse couler. Le canot se range à l'avis de HICHENS, qui servira néanmoins de bouc émissaire après coup...
À
1h10 également, à tribord, le canot n°1 (Canot de Secours) est mis à l'eau. C'est ISMAY
qui le fait partir tandis que MURDOCH s'affaire plus loin. Seuls
quelques passagers se trouvant aux environs, il ne part qu'avec 12
personnes à bord pour 40 places ! Cela n'échappe pas à ANDREWS qui
prévient le commandant. Haut-parleur au poing et depuis la passerelle,
celui-ci intime l'ordre au canot de revenir, en vain...
À 1h15, l'eau commence à déborder sur le pont de proue, les passagers peuvent alors constater de visu
que le paquebot est bel et bien en train de sombrer. L'eau commence à
envahir les ponts intérieurs C et D, poussant hors du salon les
passagers de Troisième Classe qui finissent alors par affluer en masse
sur le pont par des moyens détournés, une grille étant même enfoncée au
Pont B directement dans un couloir de Première Classe. Le commandant en
second Henry WILDE, craignant un mouvement de panique, se décide à
distribuer les armes du bord aux officiers. Il cherche les armes. Ne les
trouve pas. Va demander à Charles LIGHTOLLER qui lui dit d'aller voir
William MURDOCH qui lui répond qu'elle sont dans sa cabine. À 1h20, tous
les officiers supérieurs du Titanic, à l'exception de SMITH, sont armés
de revolvers chargés.
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