Dimanche 14 Avril 1912, quatrième jour de la traversée. Le R.M.S. Titanic
a presque effectué les deux tiers du trajet vers New York et a parcouru
près de 1.450 miles marins, environ 2.650 kilomètres. Il entame la
partie la plus périlleuse de son voyage. Le voici rendu à la latitude de
Terre-Neuve, non loin de l'Océan glacial Arctique, zone connue pour ses
champs de glace flottante venus tout droit de la fonte printanière de
la calotte polaire.
À
bord, rien ne laisse présager du drame qui se prépare. L'équipage sait
qu'il pénètre en zone dangereuse et se prépare donc à naviguer en
conséquence, c'est-à-dire en accélérant. ISMAY n'est absolument pour
rien dans la décision de maintenir une vitesse élevée. Sans que cela
soit écrit noir sur blanc dans les manuels de navigation, il est admis à
l'époque que cette zone doit être traversée le plus vite possible pour
limiter les risques.
Par conséquent, le Titanic,
sans pour autant forcer la vitesse de pointe de 24 nœuds très
consommatrice de charbon, délaisse sa vitesse de croisière de 21 nœuds
pour atteindre une vitesse rapide de 22,5 nœuds marins, soit 41,7 km/h
et ce dès le milieu de la matinée du 14 Avril. En revanche, la
possibilité que le navire puisse battre le record de traversée de
son jumeau l'Olympic est grande, admettons que cela ait pu influer sur la décision d'accélérer.
Le
principal danger dans cette zone est, je l'ai déjà dit, les champs de
glace. Ces champs dérivants sont d'autant plus traîtres qu'ils sont
composés de deux types de glace. Les glaces flottantes, simples plaques
de glace inoffensives à la dérive. Mais il y a aussi les icebergs,
morceaux de glaciers détachés. Parfois à peine plus haut que des glaces
flottantes, ils n'en sont pas moins beaucoup plus dangereux car ce sont,
pour résumer, des glaçons. Mettez un glaçon dans un verre d'eau et vous
verrez pourquoi. Les 9/10èmes de leur volume sont immergés. Un iceberg
de deux mètres de haut peut ainsi s'étendre jusqu'à 18 mètres sous la
surface, et il est impossible de savoir de quelle façons est taillée la
glace. Leur partie émergée peut atteindre parfois des dizaines de mètres
de hauteur. Par ailleurs, l'année 1912 a été chaude, l'hiver moins
froid, par conséquent une plus grande partie de la calotte a fondu et
les champs de glace sont plus nombreux.
De nombreux navires croisent alors la route du Titanic dans la journée du 14 Avril. Tous prennent contact avec le Titanic par télégraphe. (Cliquer pour agrandir.)
À 8h30, le paquebot grec S.S. Athinaï
(absent de la photographie) signale des glaces par 42° de latitude
nord, sans préciser de longitude. SMITH en prend acte. À 9h, c'est le R.M.S. Caronia
qui signale un grand champ de glace à 42°N et s'étendant de 49° de
longitude ouest à 51°O. SMITH prend de nouveau acte du message et
modifie sa route en conséquence. Sa trajectoire suivait une ligne
comprise entre 43°N et 42°N, il l'infléchit vers le sud pour prendre
l'axe de 41°N.
Entre 12h30 et 14h15, de multiples signalement arrivent à la cabine radio du Titanic,
BRIDE ne cesse de faire l'aller-retour entre son poste et la salle à
manger de Première Classe puis la passerelle, pour remettre en personne
les messages au commandant. Le R.M.S. Baltic (l'un des très populaires paquebots de la White Star Line de la classe "Big Four"), le S.S. Amerika et le S.S. Noordam avertissent de nouveau le Titanic
qu'un champ de glace s'étend à 42°N 50°O et qu'ils ont dû infléchir
sévèrement leur route pour le contourner. SMITH prend connaissance des
messages mais ne change pas d'itinéraire.
À 14h30, le télégraphe du Titanic
tombe en panne. Il faut plusieurs heures aux deux opérateurs et aux
électriciens du navire pour trouver le problème et y remédier. Le tout
est réparé peu après 19h, mais la quantité de messages privés à
transmettre a considérablement augmenté car la plupart des passagers,
considérant que le navire arrivera le lendemain, demande à télégraphier
des consignes ou des messages en Amérique en vue de leur arrivée. À
19h15, le Titanic recommence à émettre et inonde littéralement
les ondes de messages privés, souvent longs d'ailleurs, à envoyer avant
le lendemain.
À 19h30, c'est un nouveau navire qui entre dans le jeu des communications. Il s'agit du cargo S.S. Californian, de la Leyland Line, qui suit une route parallèle (légèrement au nord) et inverse à celle du Titanic et s'apprête à le croiser à environ 20 miles marins de distance (37 kilomètres) seulement. L'opérateur du Californian transmet pas moins de trois messages à la suite au Titanic.
Le premier pour signaler le champ de glace habituel. Le second pour
dire que le cargo y pénètre faute d'avoir pu changer de trajectoire
avant mais que franchement il ne le sent pas, et le troisième que le
champ est parsemé de très grands icebergs. Le commandant en est informé
et infléchit de nouveau sa route vers le sud, sans pour autant ralentir.
À 21h40, la température chute assez brutalement et l'eau salée est près d'atteindre son point de gel. C'est le S.S. Mesaba
qui signale des glaces entre 42°N et 40°N vers 50°O, en plein sur la
trajectoire du Titanic. Les officiers de quart en sont informés, pas le
commandant, mais les veilleurs si.
À
22h00, les veilleurs Frederick FLEET et Reginald LEE prennent leur tour
de veille mais leurs prédécesseurs ne transmettent pas l'information
sur la présence de glaces.
À 22h55, le Californian envoie un message d'alerte : "De S.S. Californian
à qui voudra entendre, danger d'icebergs, nous arrêtons pour la nuit,
cernés par les glaces. 42°03'N - 50°58'O". Le message est capté par
PHILLIPS, qui le note et le met de côté. Il est encore en train de
communiquer la pile de télégrammes privés à Cape Race, station-relais de
Terre-Neuve. À l'opérateur du Californian qui insiste,
PHILLIPS répond ce bref message dont la clarté le cède à la politesse :
"La ferme ! Dégagez ! Suis en communication avec Cape Race !" Message
qui, vu la puissance de l'émetteur du Titanic, est capté par tous les navires de cette régions de l'Atlantique Nord... Un peu dépité, l'unique opérateur radio du Californian
éteint son appareil à 23h30 et va se coucher. PHILLIPS et BRIDE,
débordés, oublieront jusqu'à l'existence et le contenu du dernier
message du Californian, message qui ne parviendra jamais à la passerelle. Les officiers du Titanic ignoreront toujours qu'un cargo croise dans les parages immédiats.
Entre
23h15 et 23h30, alors qu'une fête improvisée bat son plein en Troisième
Classe, que les hommes des classes supérieurs profitent des fumoirs
tandis que leurs épouse dorment (fatiguées par trois jours de voyage),
le R.M.S. Titanic pénètre dans ce vaste piège qu'est le champ de glace
dont on l'a averti toute la journée...
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