Le naufrage du R.M.S. Titanic,
 s'il n'eut pas de conséquences économiques internationales, décapita 
néanmoins une bonne partie de la gente masculine de la haute-société et 
du patronat américain et britannique. Les successions se firent assez 
bien, ce sont les héritiers qui ont dû être contents... La Banque Molson
 et la Société Protectrice Canadienne des Animaux (SPCA) ont toutes les 
deux perdu leur président. L'inauguration du Château Laurier à Ottawa 
(Canada) n'a jamais eu lieu, par respect pour celui qui devait en être 
le président d'honneur, Charles Melville HAYS, décédé dans le naufrage. 
L'industrie du rail est-américain et est-canadien a également souffert.
Une des affaires les plus retentissantes est celle de ceux qui furent connus comme "les orphelins du Titanic"
 : les frères NAVRATIL. Français, trop jeunes pour connaître leur nom de
 famille, leur père visiblement décédé et ayant voyagé sous un faux nom,
 personne ne les réclame. Recueillis par une Américaine francophone et 
une passionnée de la France, ils sont photographiés et la photo part sur
 le premier bateau en direction de la France pour être publiée dans tous
 les journaux. Remarquez les prénoms sur la photo... "Louis et Lola ?" 
Le point d'interrogation est éloquent. C'est un garçon et pourtant... Le
 fait est que Michel (l'aîné) était presque tout le temps appelé "Lolo",
 son surnom, qui est devenu "Louis". Le cadet, Edmond, était surnommé 
"Momo", ce qui prononcé par un enfant de quatre ans, avec un bon accent 
franco-italien du sud de la France de 1912 a dû sonner dans les oreilles
 américaines comme "Lola"... L'autre photographie est également 
éloquente, et ma foi assez triste. Remarquez les jouets que tiennent les
 bambins. La petite automobile miniature que tient le petit Edmond dans 
sa main (à gauche) et le modèle réduit de bateau (le Titanic...) entre les jambes de Michel (à droite). Ces deux jouets étaient des gracieusetés de la White Star Line aux enfants de Seconde Classe du Titanic
 et ont été offerts par le 5ème officier "junior" LOWE aux deux garçons à
 leur embarquement à Southampton. Leur père a pris soin de leur donner 
avant de les emmener au canot D, mais c'est tout ce qu'ils ont sauvé du 
naufrage... Les photographies paraissent dans les journaux en France, et
 Marcelle NAVRATIL, leur mère,  tombe dessus en lisant le Figaro du Dimanche 21 Avril 1912. La White Star Line lui offre un aller-retour sur le R.M.S. Oceanic et la famille se trouve réunie dix jours après le drame.


La
 famille SPEDDEN, rescapée, se fera connaître bien plus tard. Daisy 
SPEDDEN écrira en 1913 pour son fils Douglas un conte mettant en scène 
son ours en peluche, Polar. Conte aujourd'hui édité sous le nom de "Polar, l'ours du Titanic"
 (1994). Le manuscrit a été retrouvé en 1982 seulement. Douglas SPEDDEN 
est mort à l'âge de dix ans, en 1915, renversé par une camionnette alors
 qu'il courait après une balle. N'ayant eu qu'un seul enfant, ses 
parents conservèrent sa chambre comme un sanctuaire jusqu'à leur mort, 
Polar trônant sur le lit, avant de finir dans la même malle que le 
manuscrit, au grenier, après le décès des parents. En 1983, le cousin 
qui avait rouvert la malle, après avoir lu le conte, demanda l'ouverture
 du caveau familial dans le Maine (États-Unis) et alla déposer la 
peluche dans le cercueil blanc du petit Douglas, où l'enfant et son ours
 reposent encore aujourd'hui, désormais unis comme autrefois.


En
 2002, le bébé inconnu enterré à Halifax est exhumé pour procéder à des tests
 génétiques, sans grand espoir. Pourtant, grâce à des descendants, il 
est identifié. Il fait en effet partie d'une des familles "connues" de 
la Troisième Classe, les GOODWIN, la famille nombreuse en photo dans l'article sur la Troisième Classe, bien qu'il soit absent du cliché (pris en 1909) faute d'être déjà né ! Il s'agit du petit Sidney Leslie GOODWIN (1910-1912).
Beaucoup
 de passagers de Seconde Classe demandèrent le remboursement de leurs 
biens ou de leur billet, rarement les deux (après tout, ils étaient 
arrivés en Amérique, ce qu'ils voulaient), mais la plupart s'arrangèrent 
avec les assurances sauf pour les objets à valeur sentimentale. Les 
Troisième Classe se firent oublier assez vite, ils avaient atteint le 
continent américain, une nouvelle vie commençait pour eux. En revanche, 
deux comportements s'opposent en Première Classe. Il y a ceux qui ont 
exigé le remboursement de tous leurs biens et de leur billet, jusqu'au 
moindre centime et parfois en gonflant les estimations ou en attentant 
des procès à la White Star Line. D'autres jouèrent la carte de 
l'humilité et ne demandèrent qu'un remboursement symbolique ou pour des 
choses particulières. William Ernest CARTER, déjà bien aise pour avoir 
survécu en étant un homme, ne demanda que le remboursement de ses deux 
chiens restés sur le navire et d'un tiers de sa Renault 1912, les 
autres deux-tiers étant couverts par son assurance.
Margaret
 BROWN fonda une société regroupant les survivants afin d'aider au 
remboursement des plus démunis et de rendre hommage aux victimes. 
Elle-même ne demanda que le remboursement du quart de son billet qu'elle
 versa à la Cunard puisqu'après tout c'est avec cette compagnie
 qu'elle avait fini la traversée. Le milliardaire Archibald GRACIE fut 
un membre actif de son association mais ne se remit jamais du naufrage. 
Perché avec LIGHTOLLER sur le radeau B, il a passé une partie de la nuit
 dans l'eau. Il commence à réunir des témoignages dans le but d'écrire 
un livre sur le naufrage mais est gêné dans ses travaux par les maladies
 à répétition. Il passe de coups de froid en maux pulmonaires sans 
jamais véritablement guérir malgré l'action de nombreux médecins. Une 
pneumonie l'emporte finalement le 4 Décembre 1912, il avait 53 ans. Son 
livre sortira à titre posthume en 1913, "Rescapé du Titanic".
Charles
 LIGHTOLLER demande sa mutation dans la marine militaire, où il finit 
par commander un navire, et publie ses mémoires au début des années 1930
 afin de se renflouer financièrement. À sa retraite, il achète et 
restaure un yacht, le Sundowner, avec lequel il "racheta une partie des vies perdues sur le Titanic".
 En Juin 1940, âgé de 66 ans, il répond à l'appel de la Royal Navy pour 
aider à l'évacuation des militaires britanniques encerclés par les 
Allemands à Dunkerque. Il en sauve 130. À la fin des années 1940, il 
rencontra plusieurs historiens pour livrer d'ultimes témoignage sur la 
catastrophe, notamment John Walter LORD Junior (1917-2002). Il meurt en 
1952. Les autres officiers du Titanic restèrent dans la marine marchande... et n'obtinrent jamais un commandement.
La carrière du capitaine Stanley LORD, commandant du S.S. Californian,
 est brisée. Certes, il n'était pas aussi proche qu'on l'a pensé au 
début, ce qu'a reconnu l'enquête britannique. Néanmoins, il aurait pu 
porter secours au Titanic dans ses derniers instants. En ne se 
montrant pas intrigué par les fusées et en refusant de réveiller le 
radio, LORD a commis une grave faute professionnelle. Il est démis de 
son commandement, licencié de sa compagnie et cassé de la marine 
marchande. Le Californian continue sa carrière. Transport de troupes 
pendant la Grande Première Guerre mondiale (1914-1918) est torpillé le 9
 Novembre 1915 et coule par 5.000 mètres au fond au large de la Grèce. 
Son épave n'a jamais été retrouvée.
La possibilité que le Samson soit le navire mystérieux aperçu par le Californian et le Titanic
 n'a été évoqué que lors d'une révision générale des archives des 
capitaineries des ports d'Islande en 1924. L'équipage jure ses grands 
dieux qu'ils n'ont rien vu. En 1992, la théorie est confirmée.
En
 revanche, la carrière du capitaine Sir Arthur Henry ROSTRON prend une 
tournure héroïque. Salué partout, fait chevalier, acclamé comme le héros
 du Titanic, décoré de la Médaille d'Honneur du Congrès par les 
États-Unis, il est l'un des hommes les plus admirés de la marine. Fin 
1912, Molly BROWN lui offre, au nom des survivants, une coupe pour le 
remercier. La Cunard Line le remercie également en lui donnant des commandements de plus en plus importants, l'apothéose étant le superbe R.M.S. Mauretania,
 orgueil de la flotte. Il le commande de 1918 à 1928 et fait honneur à 
sa réputation non seulement en conservant le Ruban Bleu mais en 
augmentant régulièrement le record. Il prend sa retraite en 1931, 
unanimement salué comme le commandant le plus apprécié (et le mieux payé
 ^^) de l'époque, comme le fut SMITH en son temps.


Le R.M.S. Carpathia
 resta sous le feu des projecteurs et l'on se battait pour voyager à son
 bord, alors qu'il n'était au départ qu'un vieux paquebot d'immigration.
 ROSTRON laissa la coupe de Molly BROWN dans une vitrine sur la 
passerelle de commandement. Bien que vieux et pas particulièrement 
rapide, son prestige était tel qu'il fut chef de file de tous les 
convois auxquels il participa durant la Grande Guerre... Le 15 Juillet 
1918, il est torpillé par trois fois et coule en deux heures et demi, 
entraînant avec lui la coupe du Titanic. L'épave repose au large de 
l'archipel des Sorlingues, entre l'Irlande et l'Angleterre, par 155 
mètres de fond. Elle est découverte en 1999 et depuis souvent visitée 
toujours avec le plus grand respect. Des objets sont régulièrement 
remontés et restaurés mais la coupe n'a pas encore été retrouvée.
La White Star Line
 peine à se remettre du naufrage. En plus des sommes abyssales à verser à
 l'assurance, du remboursement des passagers, elle doit affronter une 
chute des ventes compréhensible et la mise en chantier de sa flotte pour
 correspondre aux nouvelles normes. Elle s'en sort pourtant. Le R.M.S. Olympic
 (en haut à droite), qui n'attire plus personne, est profondément 
modifié, sa coque renforcée, son personnel changé, son nombre de canots 
triplé mais HADDOCK en garde le commandement, certain que ça va revenir.
 Ca revient en effet, mais après la guerre. L'Olympic a redoré 
son blason durant la guerre 14-18, a gagné son surnom de "Vieux Fidèle" 
et a suivi une brillante carrière. Pourtant ça avait mal commencé dès sa
 mise à l'eau en 1911. En partant de Liverpool pour sa troisième 
traversée, il est heurté par le croiseur britannique H.M.S. (His Majesty Ship) Hawk (à droite). Pendant la guerre, le jumeau du Titanic
 est peinturluré avec un beau camouflage digne d'une œuvre d'art 
(centre-gauche) et sert comme transport de troupes en Atlantique, 
transportant parfois jusqu'à 7.000 hommes d'un coup. Chacune de ses 
arrivée à Halifax est saluée par un triomphe et il devient l'un des 
navires les plus populaires au Canada. Mieux, le 12 Mai 1918, il est 
menacé par le sous-marin allemand impérial Unterseeboot U-103 qui tente de le torpiller et de l'achever au canon. Plutôt que de fuir, comme sa vitesse le lui permettait, l'Olympic
 fait face à son adversaire et, usant de sa méthode favorite, le coule 
en le heurtant. Il reste à ce jour le seul navire marchand désarmé à 
avoir coulé un navire de guerre, qui plus est un sous-marin. Il vient 
aussi plusieurs fois en aide à des navires en difficulté suite à des 
torpillages, qu'importe les risques. Sa gloire est faite. J'ai parlé de 
méthode favorite en citant la collision car l'Olympic a toujours eu une fâcheuse tendance à se heurter à d'autres navires... En 1924, c'est avec le S.S. Fort Saint-George.
 En 1929, il est secoué par un séisme sous-marin en pleine océan ! Il 
termine sa carrière en beauté en éperonnant et en coulant, en 1934, le 
bateau-feu LV-117 de l'Île de Nantuket... (en bas à gauche) En 1934, la Cunard et la White Star
 fusionnent et dégraissent. Les plus vieux navires sont envoyés à la 
casse. Photographie magnifique en haut à gauche. Le dernier départ de 
Southampton du R.M.S. Olympic (à gauche) et du R.M.S. Mauretania
 (à droite), envoyés à la casse le même jour, en 1937... Sur le quai, un
 vieux capitaine de presque 70 ans les regarde partir en pleurant, 
Arthur ROSTRON.


La White Star Line a tout de même réussi à mettre à l'eau le Gigantic, troisième jumeau de la Classe Olympic. Renommé Britannic pour faire moins pompeux après le naufrage du Titanic,
 il sort des chantiers en 1914, sans inauguration et est immédiatement 
réquisitionné pour la guerre. C'est alors le navire le plus sûr de son 
temps, sept compartiments étanches, double coque, il est même encore 
plus luxueux que le Titanic bien qu'un peu moins grand. 
Brièvement transport de troupes, il est transformé en navire hôpital en 
1915. Le 12 Novembre 1916, au large de l'île de Kéa, en Grèce, une 
explosion interne secoue le H.M.H.S. (His Majesty Hospital Ship) Britannic. Vraisemblablement, il transportait une cargaison de munitions malgré son statut de navire-hôpital... Le R.M.S. Lusitania de la Cunard, torpillé en 1915, était également illégalement chargé de munitions. Manque de bol pour le Lusitania,
 la torpille a frappé en plein dans les munitions, provoquant une 
deuxième explosion qui a ouvert une brèche gigantesque dans la coque et a
 englouti le navire en 18 minutes... Pour le Britannic, 
l'explosion (d'origine interne et encore indéterminée) a aussi causé des
 dégâts considérables mais il semble à la hauteur de sa réputation 
d’insubmersibilité. Il penche mais ne coule pas, ni ne chavire. Le 
personnel hospitalier est évacué (heureusement, le navire était à vide) 
et le commandant tente d'échouer le navire sur l'île, broyant au passage
 une chaloupe et ses 30 occupants qui n'avaient pas pu s'éloigner assez 
vite des hélices en marche. Non, ce qui a perdu le Britannic, 
c'est qu'en prévision de l'accueil des blessés, le navire était en 
pleine aération, tous les hublots ouverts. La gîte a fini par faire 
renter l'eau par les hublots, condamnant le navire qui coule par 100 
mètres de fond. L'épave sera localisée par le commandant Jacques-Yves 
COUSTEAU (1910-1997) en 1975.


L'épave du R.M.S. Titanic,
 quant à elle, est retrouvée en 1985 par Robert Duane BALLARD (1942- ). 
Toute tentative de renflouement est vaine, déjà parce que c'est 
compliqué par la séparation de l'épave en deux, ensuite parce que le Titanic est attaqué par une bactérie, Titanicae Halmonas,
 qui ronge l'acier et le transforme en poudre de rouille. Le navire perd
 165 kilogrammes par an, d'ici cinquante ans il n'en restera plus grand 
chose. La bonne nouvelle, c'est que ça nettoie naturellement le fond des
 océans de toutes les cochonneries en métal que les humains ont pu y 
mettre, épaves ou déchets.


En 1963 est fondé la Titanic Historical Society qui tente de racheter les souvenirs et les objets remontés du Titanic ou à tout ce qui s'y rapporte.
Dans
 les années qui suivent le naufrage, à Halifax (Canada), à Belfast 
(Irlande), aux États-Unis et en Angleterre, des stèles, des statues, des
 plaques sont bâties pour rendre hommage aux victimes du Titanic.
 Aux hommes qui se sont sacrifiés pour les femmes et les enfants, pour 
les musiciens de l'orchestre, pour le commandant SMITH, pour les 
machinistes...
L'histoire du Titanic
 a profondément marqué les esprits. Il reste à ce jour une des plus 
grandes catastrophes maritimes de l'histoire, l'une des plus 
meurtrières. Bien sûr, il n'atteint pas les dix-mille morts des 
paquebots allemands coulés en Mer Baltique en 1945 à la fin de la 
guerre. Le nombre de passagers décédés est même battus dès 1914 par le 
naufrage de l'Empress of Irland face à Rimouski, au Québec, 
dans le fleuve Saint-Laurent. Mais tous ces chiffres rentrent dans les 
horreurs de la guerre, et surtout aucun de ces navires n'avait le 
prestige d'être le plus grand et le plus beau navire du monde. Témoin de
 la fin d'une époque, de la fin d'un monde, le Titanic 
passionne toujours autant un siècle plus tard. Il n'y a qu'à voir le 
chambardement pour son centenaire et les 2.213 fanatiques qui ont refait
 une traversée en suivant ses traces. C'est également le seul navire 
pour lequel les sirènes des navires sonnent en hommage chaque fois 
qu'ils passent dans la zone du naufrage. James CAMERON y a été pour 
beaucoup dans le renouveau de la légende en se croyant obligé de sortir 
un chef d’œuvre en 1997, qu'il ressort en 3D maintenant, pour faire 
bonne mesure.
"Hymn to the Sea" (1997), James HORNER (1953- ). 
Ainsi s'achève ma série historique sur le R.M.S. Titanic.
 Jamais je n'ai dû écrire autant et aussi vite. Je ne recommencerai pas 
ça tous les ans, même si je suis satisfait de mon travail. J'espère que 
vous avez pris autant de plaisir à lire que moi à écrire. Je remercie 
encore une fois mes nombreux lecteurs de ces dernières semaines.
 
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