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jeudi 19 avril 2012

Avril 1912 - Avril 2012 : Il y a cent ans... le R.M.S. Titanic. Conclusion : l'après Titanic.

Le naufrage du R.M.S. Titanic, s'il n'eut pas de conséquences économiques internationales, décapita néanmoins une bonne partie de la gente masculine de la haute-société et du patronat américain et britannique. Les successions se firent assez bien, ce sont les héritiers qui ont dû être contents... La Banque Molson et la Société Protectrice Canadienne des Animaux (SPCA) ont toutes les deux perdu leur président. L'inauguration du Château Laurier à Ottawa (Canada) n'a jamais eu lieu, par respect pour celui qui devait en être le président d'honneur, Charles Melville HAYS, décédé dans le naufrage. L'industrie du rail est-américain et est-canadien a également souffert.

Une des affaires les plus retentissantes est celle de ceux qui furent connus comme "les orphelins du Titanic" : les frères NAVRATIL. Français, trop jeunes pour connaître leur nom de famille, leur père visiblement décédé et ayant voyagé sous un faux nom, personne ne les réclame. Recueillis par une Américaine francophone et une passionnée de la France, ils sont photographiés et la photo part sur le premier bateau en direction de la France pour être publiée dans tous les journaux. Remarquez les prénoms sur la photo... "Louis et Lola ?" Le point d'interrogation est éloquent. C'est un garçon et pourtant... Le fait est que Michel (l'aîné) était presque tout le temps appelé "Lolo", son surnom, qui est devenu "Louis". Le cadet, Edmond, était surnommé "Momo", ce qui prononcé par un enfant de quatre ans, avec un bon accent franco-italien du sud de la France de 1912 a dû sonner dans les oreilles américaines comme "Lola"... L'autre photographie est également éloquente, et ma foi assez triste. Remarquez les jouets que tiennent les bambins. La petite automobile miniature que tient le petit Edmond dans sa main (à gauche) et le modèle réduit de bateau (le Titanic...) entre les jambes de Michel (à droite). Ces deux jouets étaient des gracieusetés de la White Star Line aux enfants de Seconde Classe du Titanic et ont été offerts par le 5ème officier "junior" LOWE aux deux garçons à leur embarquement à Southampton. Leur père a pris soin de leur donner avant de les emmener au canot D, mais c'est tout ce qu'ils ont sauvé du naufrage... Les photographies paraissent dans les journaux en France, et Marcelle NAVRATIL, leur mère,  tombe dessus en lisant le Figaro du Dimanche 21 Avril 1912. La White Star Line lui offre un aller-retour sur le R.M.S. Oceanic et la famille se trouve réunie dix jours après le drame.


La famille SPEDDEN, rescapée, se fera connaître bien plus tard. Daisy SPEDDEN écrira en 1913 pour son fils Douglas un conte mettant en scène son ours en peluche, Polar. Conte aujourd'hui édité sous le nom de "Polar, l'ours du Titanic" (1994). Le manuscrit a été retrouvé en 1982 seulement. Douglas SPEDDEN est mort à l'âge de dix ans, en 1915, renversé par une camionnette alors qu'il courait après une balle. N'ayant eu qu'un seul enfant, ses parents conservèrent sa chambre comme un sanctuaire jusqu'à leur mort, Polar trônant sur le lit, avant de finir dans la même malle que le manuscrit, au grenier, après le décès des parents. En 1983, le cousin qui avait rouvert la malle, après avoir lu le conte, demanda l'ouverture du caveau familial dans le Maine (États-Unis) et alla déposer la peluche dans le cercueil blanc du petit Douglas, où l'enfant et son ours reposent encore aujourd'hui, désormais unis comme autrefois.


En 2002, le bébé inconnu enterré à Halifax est exhumé pour procéder à des tests génétiques, sans grand espoir. Pourtant, grâce à des descendants, il est identifié. Il fait en effet partie d'une des familles "connues" de la Troisième Classe, les GOODWIN, la famille nombreuse en photo dans l'article sur la Troisième Classe, bien qu'il soit absent du cliché (pris en 1909) faute d'être déjà né ! Il s'agit du petit Sidney Leslie GOODWIN (1910-1912).

Beaucoup de passagers de Seconde Classe demandèrent le remboursement de leurs biens ou de leur billet, rarement les deux (après tout, ils étaient arrivés en Amérique, ce qu'ils voulaient), mais la plupart s'arrangèrent avec les assurances sauf pour les objets à valeur sentimentale. Les Troisième Classe se firent oublier assez vite, ils avaient atteint le continent américain, une nouvelle vie commençait pour eux. En revanche, deux comportements s'opposent en Première Classe. Il y a ceux qui ont exigé le remboursement de tous leurs biens et de leur billet, jusqu'au moindre centime et parfois en gonflant les estimations ou en attentant des procès à la White Star Line. D'autres jouèrent la carte de l'humilité et ne demandèrent qu'un remboursement symbolique ou pour des choses particulières. William Ernest CARTER, déjà bien aise pour avoir survécu en étant un homme, ne demanda que le remboursement de ses deux chiens restés sur le navire et d'un tiers de sa Renault 1912, les autres deux-tiers étant couverts par son assurance.

Margaret BROWN fonda une société regroupant les survivants afin d'aider au remboursement des plus démunis et de rendre hommage aux victimes. Elle-même ne demanda que le remboursement du quart de son billet qu'elle versa à la Cunard puisqu'après tout c'est avec cette compagnie qu'elle avait fini la traversée. Le milliardaire Archibald GRACIE fut un membre actif de son association mais ne se remit jamais du naufrage. Perché avec LIGHTOLLER sur le radeau B, il a passé une partie de la nuit dans l'eau. Il commence à réunir des témoignages dans le but d'écrire un livre sur le naufrage mais est gêné dans ses travaux par les maladies à répétition. Il passe de coups de froid en maux pulmonaires sans jamais véritablement guérir malgré l'action de nombreux médecins. Une pneumonie l'emporte finalement le 4 Décembre 1912, il avait 53 ans. Son livre sortira à titre posthume en 1913, "Rescapé du Titanic".

Charles LIGHTOLLER demande sa mutation dans la marine militaire, où il finit par commander un navire, et publie ses mémoires au début des années 1930 afin de se renflouer financièrement. À sa retraite, il achète et restaure un yacht, le Sundowner, avec lequel il "racheta une partie des vies perdues sur le Titanic". En Juin 1940, âgé de 66 ans, il répond à l'appel de la Royal Navy pour aider à l'évacuation des militaires britanniques encerclés par les Allemands à Dunkerque. Il en sauve 130. À la fin des années 1940, il rencontra plusieurs historiens pour livrer d'ultimes témoignage sur la catastrophe, notamment John Walter LORD Junior (1917-2002). Il meurt en 1952. Les autres officiers du Titanic restèrent dans la marine marchande... et n'obtinrent jamais un commandement.

La carrière du capitaine Stanley LORD, commandant du S.S. Californian, est brisée. Certes, il n'était pas aussi proche qu'on l'a pensé au début, ce qu'a reconnu l'enquête britannique. Néanmoins, il aurait pu porter secours au Titanic dans ses derniers instants. En ne se montrant pas intrigué par les fusées et en refusant de réveiller le radio, LORD a commis une grave faute professionnelle. Il est démis de son commandement, licencié de sa compagnie et cassé de la marine marchande. Le Californian continue sa carrière. Transport de troupes pendant la Grande Première Guerre mondiale (1914-1918) est torpillé le 9 Novembre 1915 et coule par 5.000 mètres au fond au large de la Grèce. Son épave n'a jamais été retrouvée.

La possibilité que le Samson soit le navire mystérieux aperçu par le Californian et le Titanic n'a été évoqué que lors d'une révision générale des archives des capitaineries des ports d'Islande en 1924. L'équipage jure ses grands dieux qu'ils n'ont rien vu. En 1992, la théorie est confirmée.

En revanche, la carrière du capitaine Sir Arthur Henry ROSTRON prend une tournure héroïque. Salué partout, fait chevalier, acclamé comme le héros du Titanic, décoré de la Médaille d'Honneur du Congrès par les États-Unis, il est l'un des hommes les plus admirés de la marine. Fin 1912, Molly BROWN lui offre, au nom des survivants, une coupe pour le remercier. La Cunard Line le remercie également en lui donnant des commandements de plus en plus importants, l'apothéose étant le superbe R.M.S. Mauretania, orgueil de la flotte. Il le commande de 1918 à 1928 et fait honneur à sa réputation non seulement en conservant le Ruban Bleu mais en augmentant régulièrement le record. Il prend sa retraite en 1931, unanimement salué comme le commandant le plus apprécié (et le mieux payé ^^) de l'époque, comme le fut SMITH en son temps.


Le R.M.S. Carpathia resta sous le feu des projecteurs et l'on se battait pour voyager à son bord, alors qu'il n'était au départ qu'un vieux paquebot d'immigration. ROSTRON laissa la coupe de Molly BROWN dans une vitrine sur la passerelle de commandement. Bien que vieux et pas particulièrement rapide, son prestige était tel qu'il fut chef de file de tous les convois auxquels il participa durant la Grande Guerre... Le 15 Juillet 1918, il est torpillé par trois fois et coule en deux heures et demi, entraînant avec lui la coupe du Titanic. L'épave repose au large de l'archipel des Sorlingues, entre l'Irlande et l'Angleterre, par 155 mètres de fond. Elle est découverte en 1999 et depuis souvent visitée toujours avec le plus grand respect. Des objets sont régulièrement remontés et restaurés mais la coupe n'a pas encore été retrouvée.

La White Star Line peine à se remettre du naufrage. En plus des sommes abyssales à verser à l'assurance, du remboursement des passagers, elle doit affronter une chute des ventes compréhensible et la mise en chantier de sa flotte pour correspondre aux nouvelles normes. Elle s'en sort pourtant. Le R.M.S. Olympic (en haut à droite), qui n'attire plus personne, est profondément modifié, sa coque renforcée, son personnel changé, son nombre de canots triplé mais HADDOCK en garde le commandement, certain que ça va revenir. Ca revient en effet, mais après la guerre. L'Olympic a redoré son blason durant la guerre 14-18, a gagné son surnom de "Vieux Fidèle" et a suivi une brillante carrière. Pourtant ça avait mal commencé dès sa mise à l'eau en 1911. En partant de Liverpool pour sa troisième traversée, il est heurté par le croiseur britannique H.M.S. (His Majesty Ship) Hawk (à droite). Pendant la guerre, le jumeau du Titanic est peinturluré avec un beau camouflage digne d'une œuvre d'art (centre-gauche) et sert comme transport de troupes en Atlantique, transportant parfois jusqu'à 7.000 hommes d'un coup. Chacune de ses arrivée à Halifax est saluée par un triomphe et il devient l'un des navires les plus populaires au Canada. Mieux, le 12 Mai 1918, il est menacé par le sous-marin allemand impérial Unterseeboot U-103 qui tente de le torpiller et de l'achever au canon. Plutôt que de fuir, comme sa vitesse le lui permettait, l'Olympic fait face à son adversaire et, usant de sa méthode favorite, le coule en le heurtant. Il reste à ce jour le seul navire marchand désarmé à avoir coulé un navire de guerre, qui plus est un sous-marin. Il vient aussi plusieurs fois en aide à des navires en difficulté suite à des torpillages, qu'importe les risques. Sa gloire est faite. J'ai parlé de méthode favorite en citant la collision car l'Olympic a toujours eu une fâcheuse tendance à se heurter à d'autres navires... En 1924, c'est avec le S.S. Fort Saint-George. En 1929, il est secoué par un séisme sous-marin en pleine océan ! Il termine sa carrière en beauté en éperonnant et en coulant, en 1934, le bateau-feu LV-117 de l'Île de Nantuket... (en bas à gauche) En 1934, la Cunard et la White Star fusionnent et dégraissent. Les plus vieux navires sont envoyés à la casse. Photographie magnifique en haut à gauche. Le dernier départ de Southampton du R.M.S. Olympic (à gauche) et du R.M.S. Mauretania (à droite), envoyés à la casse le même jour, en 1937... Sur le quai, un vieux capitaine de presque 70 ans les regarde partir en pleurant, Arthur ROSTRON.


La White Star Line a tout de même réussi à mettre à l'eau le Gigantic, troisième jumeau de la Classe Olympic. Renommé Britannic pour faire moins pompeux après le naufrage du Titanic, il sort des chantiers en 1914, sans inauguration et est immédiatement réquisitionné pour la guerre. C'est alors le navire le plus sûr de son temps, sept compartiments étanches, double coque, il est même encore plus luxueux que le Titanic bien qu'un peu moins grand. Brièvement transport de troupes, il est transformé en navire hôpital en 1915. Le 12 Novembre 1916, au large de l'île de Kéa, en Grèce, une explosion interne secoue le H.M.H.S. (His Majesty Hospital Ship) Britannic. Vraisemblablement, il transportait une cargaison de munitions malgré son statut de navire-hôpital... Le R.M.S. Lusitania de la Cunard, torpillé en 1915, était également illégalement chargé de munitions. Manque de bol pour le Lusitania, la torpille a frappé en plein dans les munitions, provoquant une deuxième explosion qui a ouvert une brèche gigantesque dans la coque et a englouti le navire en 18 minutes... Pour le Britannic, l'explosion (d'origine interne et encore indéterminée) a aussi causé des dégâts considérables mais il semble à la hauteur de sa réputation d’insubmersibilité. Il penche mais ne coule pas, ni ne chavire. Le personnel hospitalier est évacué (heureusement, le navire était à vide) et le commandant tente d'échouer le navire sur l'île, broyant au passage une chaloupe et ses 30 occupants qui n'avaient pas pu s'éloigner assez vite des hélices en marche. Non, ce qui a perdu le Britannic, c'est qu'en prévision de l'accueil des blessés, le navire était en pleine aération, tous les hublots ouverts. La gîte a fini par faire renter l'eau par les hublots, condamnant le navire qui coule par 100 mètres de fond. L'épave sera localisée par le commandant Jacques-Yves COUSTEAU (1910-1997) en 1975.


L'épave du R.M.S. Titanic, quant à elle, est retrouvée en 1985 par Robert Duane BALLARD (1942- ). Toute tentative de renflouement est vaine, déjà parce que c'est compliqué par la séparation de l'épave en deux, ensuite parce que le Titanic est attaqué par une bactérie, Titanicae Halmonas, qui ronge l'acier et le transforme en poudre de rouille. Le navire perd 165 kilogrammes par an, d'ici cinquante ans il n'en restera plus grand chose. La bonne nouvelle, c'est que ça nettoie naturellement le fond des océans de toutes les cochonneries en métal que les humains ont pu y mettre, épaves ou déchets.


En 1963 est fondé la Titanic Historical Society qui tente de racheter les souvenirs et les objets remontés du Titanic ou à tout ce qui s'y rapporte.

Dans les années qui suivent le naufrage, à Halifax (Canada), à Belfast (Irlande), aux États-Unis et en Angleterre, des stèles, des statues, des plaques sont bâties pour rendre hommage aux victimes du Titanic. Aux hommes qui se sont sacrifiés pour les femmes et les enfants, pour les musiciens de l'orchestre, pour le commandant SMITH, pour les machinistes...

L'histoire du Titanic a profondément marqué les esprits. Il reste à ce jour une des plus grandes catastrophes maritimes de l'histoire, l'une des plus meurtrières. Bien sûr, il n'atteint pas les dix-mille morts des paquebots allemands coulés en Mer Baltique en 1945 à la fin de la guerre. Le nombre de passagers décédés est même battus dès 1914 par le naufrage de l'Empress of Irland face à Rimouski, au Québec, dans le fleuve Saint-Laurent. Mais tous ces chiffres rentrent dans les horreurs de la guerre, et surtout aucun de ces navires n'avait le prestige d'être le plus grand et le plus beau navire du monde. Témoin de la fin d'une époque, de la fin d'un monde, le Titanic passionne toujours autant un siècle plus tard. Il n'y a qu'à voir le chambardement pour son centenaire et les 2.213 fanatiques qui ont refait une traversée en suivant ses traces. C'est également le seul navire pour lequel les sirènes des navires sonnent en hommage chaque fois qu'ils passent dans la zone du naufrage. James CAMERON y a été pour beaucoup dans le renouveau de la légende en se croyant obligé de sortir un chef d’œuvre en 1997, qu'il ressort en 3D maintenant, pour faire bonne mesure.

"Hymn to the Sea" (1997), James HORNER (1953- ).



Ainsi s'achève ma série historique sur le R.M.S. Titanic. Jamais je n'ai dû écrire autant et aussi vite. Je ne recommencerai pas ça tous les ans, même si je suis satisfait de mon travail. J'espère que vous avez pris autant de plaisir à lire que moi à écrire. Je remercie encore une fois mes nombreux lecteurs de ces dernières semaines.

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